Sonny Simmons a donné l’an dernier au Sunset, à Paris, une série de trois concerts qui, prions une fois une seule, a peut-être été enregistrée. Notre homme, saxophoniste alto et éthylophile patenté, a littéralement cassé la baraque (pour ceux qui ne connaissent pas l’endroit, le Sunset est une sorte d’abri antinucléaire, situé dans une cave, pourtant prévue pour résister à ce type d’assauts), rappelant des choses aussi essentielles que « à quoi sert un concert » et « comment se mettre en colère joyeusement », épaulé par une rythmique tellurique (Emmanuel Borghi, Michel Bénita, George Brown). Un grand moment de musique, vraisemblablement perdu pour les absents (soit l’Humanité moins trente entrées payantes).
Afin de remédier à cette injustice, le label Jazz Friends Productions édite aujourd’hui un concert contemporain de ces performances, où l’on retrouve Sonny Simmons entouré d’amis eux aussi gentiment barrés : Horace Tapscott au piano, qui codirige ce quartet, James Lewis à la basse et John Betsch à la batterie.
Présentations. D’abord Sonny Simmons. Né en 1933 (pour situer, 13 ans après Parker, 6 après Coltrane, 3 après Coleman et 3 avant Ayler), Sonny a joué du ténor avant de passer à l’alto, instrument sur lequel il a commencé à sévir au début des années 60 (premiers enregistrements) aux côtés notamment de Prince Lasha (sax alto et baryton). On le trouve en belle compagnie sur Illuminations le splendide album Impulse d’Elvin Jones et Jimmy Garrison de 1964. Musicien d’avant-garde au phrasé exubérant, prolixe, il maîtrise un style unique et cultive la sensation d’approximation. Sonny, dont la carrière a connu une difficile éclipse, possède avant tout une très belle sonorité, à la fois intense, anguleuse et bouleversante, proche du chant d’un oiseau, qui fait de lui un continuateur de Parker et Coleman.
Horace Tapscott, d’un an son cadet, a lui aussi frayé avec les mêmes cercles de l’avant-garde musicale, puis pris la tête du Panafrican Arkestra, se proposant de jouer une musique plus contributive que compétitive, rendant hommage à l’héritage culturel black et tournant le dos à l’industrie du disque. Horace revendique l’influence de Monk et Tatum, mais développe des traits communs avec Sonny. Doté d’une main gauche puissante, il utilise également des riffs aux consonances naïves qui n’appartiennent qu’à lui. Enfin, qui n’appartenaient qu’à lui parce que Horace, le 27 février de l’an de grâce mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a dit « enough is enough » et est parti bluffer ailleurs, nous privant d’un musicien complet, se consacrant à son art et aux autres.
James Lewis : oh là là ! il doit pas faire bon passer sur une scène après un bassiste comme ça ! Un bassiste puissant, à la sonorité assez ronde et au phrasé suffisamment original pour séduire Woody Shaw, Pharoah Sanders ou Von Freeman. Quant à John Betsch il y a peu à dire d’un batteur aussi complet et dynamique, compagnon de route de Steve Lacy.
Ce quartet de circonstances, réunissant quatre poids lourds, joue des standards incontournables, Milestones, Body and soul la perle de cet enregistrement, So what et Caravan (où Lewis suggère Footprints), autant de points de départ pour de nouvelles explorations menées avec une force, une cohésion et une sensibilité évidentes. Un enregistrement important et très bien réalisé.