Si la photo de la pochette du disque ne le montrait grimaçant sous une casquette, on dirait bien que, par cette visite inattendue, Patrice Caratini et son Jazz Ensemble décoiffent ce bon vieux Louis : le contrebassiste français, à la tête de ses douze musiciens, relit la musique d’Armstrong en toute liberté, dans le cadre, explique-t-il dans les notes de pochette (un dialogue avec Laurent Cugny), d’un cycle intitulé « les grands textes du jazz » : « Pour commencer un travail sur les grands auteurs, Armstrong est le nom qui s’impose. C’est Mozart, c’est Bach : c’est fondateur. » Les travaux archéologiques de Caratini commencent donc sous les meilleurs auspices, ces « Variations sur la musique de Louis Armstrong » parvenant à en respecter la lettre tout en en donnant une interprétation considérablement remaniée, repensée à l’aune de la musique d’aujourd’hui, sans hésiter à la bousculer vigoureusement quand besoin s’en fait sentir. Le pari était ardu (essayez de réécrire La Bruyère dans le style de Guillaume Dustan ou de n’importe quel autre écrivain fin de siècle, vous verrez), il est remarquablement relevé -avec science, virtuosité et humour. Inutile d’épiloguer trop longtemps sur la qualité du Jazz Ensemble, cette moyenne formation réunie par le contrebassiste en 1997 : douze musiciens dont trois anches aux talents divers, cinq cuivres pour la pêche et le son, une rythmique avec piano et guitare.
Quelques moments marquants attirent l’attention sur certains musiciens, sans que doivent être oubliés les autres : François Thuillier au tuba dans Savoy Blues, rejouant des fragments de parties jadis jouées par le trompettiste, Alain Jean-Marie pour un passionnant solo dans Ory’s dream, Claude Egéa et Pierre Drevet dans le « rôle-titre », l’électrisant Christophe Monniot à chacune de ses interventions à l’alto (notamment dans East End blues) et l’électrifié David Chevallier à la guitare : issu du POM (Putain d’Orchestre Modulaire, sic) à l’instar du tubiste sus-cité, il faut noter son travail sur les timbres à la guitare électrique (génial dans Intense), ainsi que la partie de guitare préparée, toujours dans Savoy blues. Dans un brillant travail d’écriture et d’arrangement, Patrice Caratini mêle références à l’original et inventions, histoire (new-orleans, growl…) et modernité, déférence respectueuse et révisions impertinentes ; finalement, c’est Satchmo lui-même qui vient compléter l’orchestre avec des enregistrements originaux d’Armstrong çà et là (avec ses « hot five » sur West End blues et Darling Nellie Gray). Le disque se poursuit et s’achève sur Sept variations sur le thème de Nellie Gray, ou une passionnante succession de climats et d’impressions sonores, issue d’un projet finalement bousculé -« procéder à l’inverse [du système habituel des variations], c’est-à-dire partir de très loin pour arriver au thème ». Patrice Caratini n’a peut-être pas respecté (tant mieux) son cahier des charges pour la suite Nellie Gray, mais c’est finalement lui qui préside au disque tout entier : on part quand même de très loin, et c’est finalement à Armstrong qu’on revient.
Patrice Caratini (b, dir), André Villéger (as, ss, cl), Stéphane Guillaume (ts, ss, cl, bscl, fl), Christophe Monniot (bs, as, ss, fl), Claude Egea (tp), Pierre Drevet (tp), Denis Leloup (tb), Patrice Petitdidier ou François Bonhomme (cor), François Thuillier (tuba), David Chevallier (g, banjo), Alain Jean-Marie (p), Thomas Gimmonprez (dm)
1) Saint-Louis blues (W.C. Handy) – 2) Shuffle Shanga… (Patrice Caratini) – 3) Shanga… Shuffle (G. Rodemich, L. Conley) – 4) West End blues (J. Oliver, L. Armstrong) – 5) East End blues (Patrice Caratini) – 6) Cornet Shop Suey (L. Armstrong) – 7) Savoy blues (E. Ory) – 8) Ory’s creole trombone (E. Ory) – 9) Ory’s dream (Patrice Caratini) – 11 / 17) Sept variations sur le thème de Nellie Gray (Patrice Caratini)