Dans des genres un peu différents, il est deux trompettistes exceptionnels, particulièrement actifs pendant les années 70, années de questionnement pour le jazz, qui auraient mérité -et qui mérite encore pour le premier d’entre eux-, une véritable reconnaissance publique : Charles Tolliver et Woody Shaw, l’un comme l’autre ayant été, une fois n’est pas coutume, scandaleusement sous-enregistrés eu égard à leur maîtrise artistique. Mais y a-t-il une chose compatible avec l’idée de mérite ici-bas me rétorquez-vous illico, brillants esprits ? Je reste taisant sur le thème et préfère revenir sur nos deux trompettistes virtuoses, compositeurs particulièrement inspirés d’un be-bop à dominante modale, de seconde génération (kité comme les mobylettes !) que l’on nomme hard bop ou post bop quand on veut se la donner. Charles Tolliver est l’auteur d’albums ravissants, étoffés grâce à des musiciens toujours excellents : Gary Bartz et Herbie Hancock sur Paper man, George Coleman et James Spaulding sur Impact, l’excellent batteur Alvin Queen sur d’autres enregistrements.
Hormis une ressemblance physique, Woody Shaw, dont il est ici question, chaussait une pointure au-dessus de son compère : associations avec Eric Dolphy et Jackie McLean, Andrew Hill et Mc Coy Tyner puis passage dans la formation d’Horace Silver, au sein des Jazz Messengers d’Art Blakey, ou dans la formation de Max Roach. Plus tard, c’est avec sa formation que Dexter Gordon fera son retour sur scène aux Etats-Unis en 1976 (Homecoming). La même année, à la tête d’un quintet soudé, il enregistrait le présent hommage Little red’s fantasy, à celle qui fut sa compagne et manager. Cet album réalisé avec Franck Strozier à l’alto, Ronnie Matthews au piano, Stafford James à la basse et Eddie Moore à la batterie est un modèle du genre, à placer aux côtés des autres fortes réalisations du trompettiste : Blackstone legacy, Moontrane, The Iron Men, Rosewood, Cassandranite. En effet, si l’on peut reprocher à certaines compositions hard bop d’être assez peu inspirées, voir d’insipides prétextes aux impros, les cinq thèmes qui figurent sur le disque sont excellents : Jean-Marie du pianiste (pour vous réconcilier avec le prénom) ; l’irrésistible Sashianova du bassiste au feeling latin (prière de remarquer les quatre premières mesures du chorus d’alto) ; le pêchu In case you haven’t heard, Little red’s fantasy et ses troublants changements d’accords et Tomorrow’s destiny qui sonne comme s’il était joué par un big-band. Une musique puissante et joyeuse qui fait plus que regretter que la dope ait causé prématurément la mort de ce musicien d’exception. Un de plus.