Après Komputer et Kraftwelt, un autre groupe qui rend hommage à Kraftwerk ? Oui, mais le meilleur. Et de loin. Dopplereffekt est un duo electro américain de Detroit composé de Rudolf Klorzeiger et To Nhan Le Thi (pseudo), et Gesamtkunstwerk est leur premier album. Groupe mystérieux et froid, Dopplereffekt mélange science, sexe et politique avec un naturel confondant, créant une brèche dans le petit monde de l’electro, si attaché à ses traditions.
Le disque s’ouvre avec Cellular phone, gimmick simple et répétitif mis en boucle et s’enchaîne avec Technic 1200, premier chef-d’œuvre robotique et claquant à base de basse punitive. Scientist explore les possibilités offertes par les synthétiseurs, ces instruments parfaits créés par l’homme pour accompagner son entrée dans le monde moderne. J’ai un faible particulier pour Rocket scientist, qui atomise le chercheur et l’envoie dans l’espace : un morceau electro-house bleepé qui pourrait devenir un tube, n’était-il si court et noir comme le noir profond de la pochette. Master organism fait dans le viril, un peu comme DAF. Parfait sur un label au nom si explicite. Satellites n’est rien d’autre que du Cybotron accéléré, mais il est vrai qu’ils viennent de la même ville… Plasiphilia et Plasiphilia2 sont des hommages explicites aux mannequins de Kraftwerk : « I want to make love to a mannequin / I want to fuck it, I want to suck it. » Humiliés, les mannequins ont pourtant adoré ça. Un titre inquiétant comme la menace d’une maladie sexuellement transmissible. Voix vocodées, téléphones analogiques, basses 80’s, tout est là. En plus fort. En plus propre. En plus pur.
Voice activated est comme ça : une paranoïa de mégalopole industrielle transformée en corps. Terrifiant. « That is incorrect » égrène une voix nasillarde. Heureusement, Speak and spell s’amuse un peu plus et chatouille des robots de nettoyage. Rythmé et tremblant. Denki no zuno et Infophysix sont des ballades électroniques très marquées YMO / Kraftwerk, mélancoliques à souhait, avec solo de synthés sans pudeur. On a joui, on a ri, on est bien puni maintenant (normalement à coups de trique sur les fesses). Die Radiometer démontre avec brio que l’axe Berlin-Detroit est solidement ancré dans les mœurs techno, une alchimie parfaite d’éléments complémentaires. Pornoactress et Pornoviewer décontextualisent la star du porno comme icône intangible d’un désir réellement frustré, comme le faisait Throbbing Gristle (dont la devise était : « entertainment through pain ») en 1981, le tout en étant plus crédible que les Rythmes Digitales mais peut-être moins que Soft Cell… Sterilisation enfonce bien profondément le clou de la provocation politico-génétique : « We have to sterilize / the population. » Avec force cris et discipline germanique en cuir -soumission aux machines, improductivité, stérilisation. Enfin, le dernier titre qui donne son nom au disque (l’association de l’art et du travail), sans rythme, telle une intro d’add n to x, dérive dans les fantasmes stéréo-communistes d’une internationale asexuée de l’electro.
Conclusion : selon Dopplereffekt, le socialisme biologique mène vers la victoire. Un chef-d’œuvre de glaciation issu d’un bloc de l’Est rêvé à Detroit par des programmeurs à la libido martiale. Accessoirement, le meilleur disque d’electro entendu depuis longtemps, un classique instantané -pour les fans du genre.