Un peu partout, on commence à entendre dire que le nouveau Gus Gus serait une merde finie, et même Labels, distributeur officiel en France, présente Gus Gus vs t-world comme « un projet de transition, avant le troisième » (album, ndlr). Bon bon, on veut bien, mais quand même, il suffit d’écouter ce disque à tout autre moment qu’en faisant la vaisselle pour se laisser emporter par le travail effectué sur le son.
Ok, si l’on veut raffiner, on admettra que Gus Gus vs t-world est un album un peu à part dans la discographie de Gus Gus, un disque tout instrumental et vraiment techno façonné par les trois principaux architectes sonores du collectif islandais, Alfred, Biggi et Herb. Cela dit, il n’y a pas là matière à déprécier d’entrée ces dix plages instrumentales, à les traiter comme un sous-produit uniquement destiné à faire attendre l’acheteur encore tout ébahi par la magnificence electro-pop de l’album précédent, This is normal. Un jour, l’entité Gus Gus est formidable parce que justement composée d’individualités susceptibles de pondre une œuvre très éclatée dans différents domaines artistiques, et le suivant, un peu terne et décevante parce qu’elle met à jour une facette moins connue de son talent. Car ne nous voilons pas la face, Gus Gus est connu -et respecté- pour ses morceaux les plus pop -effectivement aussi formidables-, et pas vraiment pour tout le travail de production qui est la passion première d’une partie de ses membres. On sait peu que Biggi, Herb et les autres travaillent comme ingénieurs du son ou remixeurs pour une foultitude d’artistes, connus ou moins (dont leurs compatriotes Sigur Ros, dont on reparlera, et pour lesquels ils avaient relifté un morceau de leur premier album hélas pas distribué chez nous, Von).
Voilà pour la mise au point. Parlons musique maintenant. Dès le premier titre, on reconnaît le son Gus Gus, notamment par l’adjonction de ces petits sons de percus à contretemps, vraiment une de leurs marques de fabrique, à l’efficacité redoutable. On dodeline de la tête tout au long des 9 mn 30 d’Anthem qui prouve que, côté sculpture sonore, Gus Gus ne craint pas grand monde. Dans le genre ethno-trance, un classique. Notez d’ailleurs que l’album est vraiment conçu en mode instrumental et que le format des morceaux est donc allongé. Si l’on excepte Sleepy herb time qui est sous les 5 min, tous les autres titres oscillent entre 6 et 11 mn. Voilà pour le démarquage d’entrée par rapport au format pop. Disco ou Steph nous emmènent vers un monde d’afters enfumés et rêveurs tandis que Purple est un gros clin d’œil à la house trance-progressive anglaise du début des années 90. Jouissif.
Et même si Gus Gus vs t-world n’apporte, avouons-le, pas de pierre d’angle à l’édifice techno, on aurait par contre tort de considérer cet album comme un disque rétrograde voire ringard. On entend déjà certains annoncer à grands coups de corne de brume le retour de Tangerine Dream, après congélation des paillettes dans le grand froid nordique. Et d’une, tous les albums de Tangerine Dream ne sont pas à jeter à la poubelle ; et de deux, si filiation -pas évidente à mes oreilles- il devait y avoir, on ne voit pas en quoi elle serait déshonorante. Il y a bien un petit couac dans cet album : Sleepy time qui pédale un peu dans la semoule, et donne effectivement envie de dormir d’ennui, mais il est bien vite oublié puisque Eaja qui lui fait suite offre 11 min 14 de bonheur à l’amateur insomniaque de sons numériques. Alors, Gus Gus au pilori ? Ce serait bien dommage, car avec un bon cône dans le bec, on n’a qu’une envie, mettre l’album en boucle et commencer à rouler le suivant.