Quand le narrateur a rencontré l’héroïne du roman, dans les années 1990, elle était en cavale. Exilée pour échapper à la police, laquelle – du moins, c’est ce qu’elle pensait – s’intéressait à elle pour une vieille affaire d’escroquerie à la petite annonce, quand elle avait vingt ans. Elle était alors en couple avec un type du même milieu, ouvrier, pauvre, forcé à la débrouillardise. Ensemble, ils hameçonnaient des rupins à l’autre bout du pays, puis réclamaient de quoi payer le voyage pour les rejoindre ; quand le mandat postal arrivait, ils s’évanouissaient dans la nature. Ce petit jeu a duré un temps, après quoi le duo s’est séparé ; il a fallu trouver d’autres expédients. La vie en marge continuera des années, même si au fond l’héroïne n’a rêvé que d’une vie tranquille de femme ordinaire.
La vie ordinaire, le contraire de ce à quoi aspire le narrateur, qui est peut-être l’auteur : lui voudrait justement sortir du monde, se défaire du réseau d’obligations, de rites et d’informations qui l’enserrent, le harcèlent et le contraignent. Il n’y arrive pas. Quand elle lui dit n’avoir aucune idée de qui est Edouard Balladur, alors premier Ministre l’époque, il est fasciné, et la jalouse en secret, tout en sachant que lui, contrairement à elle, ne sortira pas du rang, faute d’être programmé pour ça. Explication possible de l’intérêt qu’il lui porte et qui, tant d’années après, a provoqué l’écriture de ce livre en forme d’enquête biographique, à la fois simple et pour ainsi dire voilé, comme si l’auteur, présent en filigrane autour de l’héroïne, ne cessait de s’interroger lui-même sans vouloir apparaître, racontant du coup la vie d’une autre en guise de miroir de soi.