Avant de mettre en scène les rituels sadomasochistes qui animent puis perturbent la vie amoureuse de deux femmes mûres, The duke of burgundy aura annoncé sa couleur d’emblée. Au milieu de son générique fait de clichés immobiles, une image superpose une pub incongrue pour le parfum porté par les actrices à un plan de larves baignées dans la fange. Cette disharmonie entre le très propre (la fragrance) et le très sale (la terre et les larves) semble pour le moins forcée, et vaut comme programme. Un programme consistant pour l’essentiel à transformer la plupart des images en démonstrations cosmétiques, par exemple en multipliant les reflets, en faisant tout voir à travers des vitres (fléau de l’année, qui culminera bientôt dans les métaphores illuminées du Louder than bombs de Joachim Trier), ou en ne filmant le sexe qu’à travers quelque chose (le trou d’une serrure, l’embrasure d’une porte, le givre posé sur une fenêtre). Programme, surtout, dont l’impuissance laisse songeur, tant chaque fantasme d’intrusion de la violence (suggérée, ici, par les larves) se voit figé par un geste de taxidermiste. D’où que le mouvement interne des plans, jetés dans un grand fatras de visions abstraites, serve moins le mouvement général du film que la constitution consciencieuse d’un imagier.
Le film fait néanmoins valoir quelques signes d’étrangeté lorsqu’il parvient à s’éloigner furtivement de sa mécanique réglée comme un embaumement. Diversion relative qui se joue notamment du côté de la bande sonore : le caractère extrêmement lisse, quasiment publicitaire, de l’image, est comme contredit en permanence par la persistance de sons impossibles à distinguer, bruits d’insectes ou incantations nébuleuses qui semblent invoquer une multitude de figures et de genres condamnés à errer sur le fleuve de l’oubli (le film entend assez clairement ressusciter une certaine idée du cinéma érotique européen des années soixante-dix). Perdu dans les anfractuosités du montage, le son acquiert ainsi une réelle vocation souterraine, et d’ailleurs ce n’est pas pour rien si les deux explorations du film, dans une cave et dans un vagin, se font dans le noir. Toujours il faut soulever le voile de l’image, se défaire de sa puissance de recouvrement pour atteindre une surface invisible capable de réfléchir, enfin, quelques secrets.
Ces secrets se terrent peut-être précisément dans une autre confrontation : entre le rituel (l’une des deux femmes devient la gouvernante de l’autre, lavant ses culottes et faisant le ménage à quatre pattes) et sa formulation. C’est assez beau que, bien qu’il soit interdit de s’épancher sur le sentiment amoureux, tous les ordres soient formulés au lit, entre deux mots doux, autrement dit : que le sadomasochisme abandonne son idée de pouvoir pour garantir l’égalité des deux femmes dans l’expression de leur amour, faisant muer l’apparente violence en un pur don. En cela le film va plus loin que le récent 50 shades of Grey, où le plaisir sadomasochiste semblait déjà indissociable du sentiment : vidé de son possible éveil à la pulsion de mort, il devient ici un simple acte de mariage. Plutôt que la condition du plaisir, l’attente permanente de la douleur est la condition même de l’amour. Le sentiment, finalement, ne peut vivre en dehors du rituel, et c’est ainsi que l’on est jaloux non pas parce que l’une a trompé l’autre, mais bien parce qu’elle a trahi le contrat – le film tire d’ailleurs de cet enfermement une énergie comique insoupçonnée, à coups de « quoi ? tu lui as ciré les bottes ? » lancés avec toute la tristesse du monde. C’est dans ce romantisme plastifié, ciré, que se niche sa relative étrangeté, plutôt que dans une veine entomologiste à laquelle il manque une dimension réellement ludique – en témoignent les variations ad nauseam autour du motif du papillon. Pas de quoi s’exciter donc, mais l’on pourra au moins s’étonner favorablement de ce que The Duke of Burgundy soit le premier film-parfum à intéresser précisément parce qu’il n’a pas d’odeur.