Vendredi 22 mai –
Vendredi soir, on récupère le petit bracelet satiné fourgué par Arte pour un open-bar au dessus de tout le monde, où depuis le balcon on peut secouer nos verroteries et nos verres privilèges. On se trouvera bien mieux pourtant dans la fosse de sueur à pogoter avec les lions, les lionceaux, les lionnes, sans distinction au poignet. Mais ça s’est plus tard. Kevin Morby (Woods, The Babies) lance doucement les hostilités en solo, en fait non, en trio (avec un batteur sensible et une guitariste toutes d’arpèges velvetiens). Son songwriting classiciste, entre Dylan et Van Zandt, s’électrifiera progressivement, gagnant en intensité à mesure que grandissait le public de la grande halle. Très agréable entrée en matière, saluée par deux petites amoureuses brandissant leurs briquets, petites lucioles égarées chez les punks.
Les punks, les voilà : les quatre kids (la maman du cinquième lui a, paraît-il, interdit le voyage) australiens Ausmuteants balancent leur hymnes punk régressifs en même temps que, littéralement, des oranges (« Who wants an orange ! ») dans la gueule des spectateurs, ou une banane, sur celui qui a raté son stage-diving : « This guy needs a banana ! ». Sinon, ceux que tout le monde s’acharne à nommer Os Mutantes parlent un peu français (« Touche ma bite ! »), et balancent surtout du gros son, les deux voix mixées devant la batterie, un synthé cheap pour la touche synth de ce synth-punk qui me rappelle pourtant plus les Bérus, voire même Elmer Food Beat, que Devo ou The Deadboys. M’enfin, je suis le seul à faire la fine bouche, tout le monde en revient avec des bosses et des marques de transpiration.
Je serai moins bégueule sur les vieux Gories de Détroit, qui commencent clopinant leur set garage, avant de se rendre compte que le public adhère, remue, salue, et de gagner en enthousiasme, en vitesse, en énergie. Leur blues balourd du début se transforme en fée électricité, et Mick Collins (rescapé des Dirtbombs) remue ses grosses fesses en zébrant le public de soli de guitares insensés, de plus en plus purs, bruts, précis, coupants. A force de riffs Bo Diddley, le volume sonore semble être monté d’un cran (heureusement), et on commence à entendre le sosie de Maureen Tucker (Peggy O’ Neill, pull noir moulant et lunettes noires de mouche sixties) taper sur ses deux toms basse. Quelqu’un crie « Fais-moi l’amour ! » et je ne crois pas que ce soit le titre d’une de leurs chansons.
L’amour à plusieurs, c’est ce qu’on fera pendant tout le concert de Thee Oh Sees, meilleur groupe garage du monde, venu avec un nouveau line-up (et deux batteries !) faire pogoter ces jeunes gens inhibés par la montée du fascisme en France. Concert défouloir et bon enfant, qu’on ne pouvait voir (ressentir) ailleurs que dans la fosse, ou faisant la planche sur les mains des danseurs comme sur une mer de bière et de sueur. Fidèle à sa politique de tolérance, Etienne Blanchot, le programmateur de Villette Sonique, couve du regard les jeunes excités qui montent sur scène, squattent deux minutes les projecteurs, puis plongent tête la première. Le concert est tendu à claquer, j’ai failli perdre trois fois ma seule paire de lunettes, mais dès que quelqu’un tombe, tout le monde fait de la place pour le relever. Violemment bon enfant, c’est la cour de récré, la baston pour jouer, écraser quelques pieds, ces baskets sont trop blanches, il fallait les baptiser.
WP
On fait l’impasse sur le folkeux Kevin Morby, pas vraiment à sa place ici et maintenant. A moins que ce soit moi ?
Propulsés sur une scène trop grande pour eux, les Ausmuteants semblent d’abord mal à l’aise pour leur première en France. Et puis, c’est l’engrenage : un grand roux bien connu pour être le bassiste de Frustration exécute un premier slam, qui engendre un pogo, qui empiète sur la scène, qui transcende les musiciens. Arborant des coiffures à rendre jaloux les fans du Real Madrid de moins de huit ans, les ados de Melbourne jouent un synth-punk braillard qui n’a justement pas oublié d’être punk, et se révèlent assez bon techniciens. De l’avis général, meilleur show de la soirée.
Backstage, on a affaire à quatre gamins surexcités qui n’en reviennent toujours pas de partager l’affiche avec les Oh Sees. Dans une laborieuse tentative d’interview, ils procéderont à un échange de vannes potaches avec le débit d’enfants hyperactifs, avant de mimer une extase béate à l’idée de jouer à « NANTZ » (ce soir). Amis de Loire-Atlantique, vous êtes prévenus.
Ah, tiens, voilà les Gories qui déboulent sur scène. Ils sont pas un peu « too old for this shit » ?
Viennent enfin Thee Oh Sees, qui sont un peu les mascottes du festival. Comment surprendre un public que l’on a déjà conquis vingt fois ? Eh bien, en jouant avec DEUX batteries, par exemple. C’est graphique, hypnotique, ça permet de suivre un concert qu’on n’avait pas envie de revoir. Le line-up des Oh Sees a tellement changé qu’il semble malléable à l’envi : constamment, de nouveaux membres apparaissent sur scène avant de replonger dans l’anonymat de la fosse. John Dwyer le prend à la cool, comme d’hab. On avait préféré le jeu ras-de-scène des Coachwips l’année dernière, quand même.
PJ