Un dessin foiré
Il y a une chose qu’on ne peut pas reprocher aux Donzelkaïm, c’est de manquer de cohérence. Leurs films sont guidés depuis le début par une idée fixe, qui relève quasiment de la folie à deux. C’est une passion maladive pour l’entre-soi, une sorte d’égo-utopie de l’autosuffisance dont le corollaire est une phobie caractérisée pour tout ce qui ne leur ressemble pas (j’en parlais ici à l’époque de leur précédent film, Main dans la main). Adaptant avec Marguerite et Julien un scénario écrit pour Truffaut par Jean Gruault, ils font tout bonnement de cette folie leur sujet. Marguerite et Julien y sont, dans la France du XVIème siècle, frère et sœur et follement amoureux l’un de l’autre, unis par le vœu fébrile et hérétique de « rester entre identiques » – c’est un curé qui dit ça pour désigner leur pêché. Que fait-on, « entre identiques », chez Donzelli ? Toujours la même chose : on court comme des dératés pour dire l’urgence de sa passion, on se serre très fort avec les yeux mouillés, tout ça dans des petites bulles pop d’intensité sous cloche, dont la formule avait valu à La guerre et déclarée l’engouement que l’on sait. Pas sûr qu’avec Marguerite et Julien, ce programme fasse mouche une deuxième fois : le résultat oscille entre un programme cape et épées de l’ORTF et un sketch Récré A2 qu’auraient inspiré les oukazes pro-lyrisme des Cahiers du Cinéma. Visiblement dépassée par l’ambition (par ailleurs estimable) de son film, Donzelli cherche sa voie en semant partout des petits cailloux poétiques (anachronismes foufous, citations de Truffaut partout, effet bullet time à la Matrix, diaporamas dont le seul effet est de révéler qu’Elkaïm joue mal même en photo) qui peinent à former un chemin : loin de la fièvre qu’il voudrait susciter, le film est étonnamment plat et amorphe. À vrai dire, ce ratage est tellement carabiné (et triste au vu du sujet, très beau, qu’avait choisi Donzelli), qu’il donne envie d’être indulgent – indulgent comme on l’est pour un enfant qui aurait complètement foiré son dessin.
JM
Des éléments de langage
Indulgence aussi devant un autre film français, nettement moins raté mais en-dessous de ce qu’on pouvait attendre de lui. Avec Gaz de France¸ son premier long métrage véritable après une compile de courts, Benoit Forgeard sait mettre à profit son talent mais trébuche un peu sur la marche de la forme longue. Avec son pitch de politique-fiction futuriste et timbrée (dans un futur proche, un pool de communicants amateurs s’efforce, enfermé dans les sous-sols de l’Elysée, de faire remonter la cote du Président, joué par Philippe Katerine), le film creuse triplement le terrain arpenté avant lui par les courts. D’abord en multipliant tout du long, avec un bonheur inégal, ces petites éruptions de comique absurde et laconique qui sont la marque de Forgeard. Ensuite, en poussant plus loin leur potentiel de malaise, au point que le film, sur la balance du rire franc, pèse moins lourd que prévu. Enfin, en précisant un travail, entamé de longue date, sur la constellation de novlangues qui font l’actuelle idéologie de la communication. Sur ce point, le pitch était évidemment idéal, et le film trouve ses meilleurs moments dans la veine du pastiche pur et simple des fameux « éléments de langage » du discours politique. Par ailleurs, la mise en scène soignée de Forgeard ouvre sur de belles trouvailles (l’exploration du décor de bric-à-brac de la première partie). Reste que le film n’échappe pas à l’écueil, toujours triste, consistant pour les surdoués du court métrage à faire moins un long qu’un court pas assez court – le film flotte méchamment par endroits, et son dispositif claustro le rend parfois difficilement respirable.
JM
Une grande forme modeste
Encore quelques nuits bercées par la voix de notre Shéhérazade lusophone et la confirmation que Les mille et une nuits de Miguel Gomes dresse un autel en l’honneur du peuple portugais. Mais pas de marbre ici, plutôt des bouts de coquillage glanés dans la culture populaire, mêlés à la rocaille du réel et cimentés par la fiction. Une fiction qui compose entièrement les trois contes présentés dans cette deuxième partie, abreuvée des motifs fantaisistes qui couraient déjà dans la première (fable et bestiaire doué de parole, goût du jeu et de la scène). L’imaginaire du cinéaste s’y déploie par touches, composant des récits volontiers anarchiques et constamment ponctués de notations humoristiques. Mais derrière ce patchwork fantaisiste d’une très belle liberté formelle (et parfois splendidement sensuel), où le western rural côtoie la scène délirante de procès, sinue progressivement le fond noir d’une tragédie sur le délabrement social d’une communauté. Et s’impose de plus en plus l’idée d’une fresque qui tendrait son ressort politique par le biais de l’enfance et du désir, des jeux et de la croyance.
GO
Prix d’interprétation pour la vitre
Du Todd Haynes au Joachim Trier, un même personnage concourt au prix d’interprétation féminine : c’est la vitre, déjà grande muse du cinéma d’auteur. Louder than bombs et Carol nous donnent à en voir deux registres : solution de facilité pour metteur en scène dans le coma (Joachim Trier) ou véritable surface poétique (Todd Haynes). Chez ce grand commentateur du contemporain qu’est Trier , la vitre c’est celle qui sépare et qui brille un peu, métaphorisant la difficulté des rapports humains à l’ère de la télévision et des FPS. Mais c’est aussi ce qui se tend entre un puceau et une fête : c’est ce qui fait le tri entre les animaux et la petite aristocratie anémiée des êtres délicats et asthmatiques mais condamnés à ne pas jouir et à être des losers. Dans Carol en revanche, la vitre est moins filmée comme le refus condescendant du monde que comme une membrane opacifiée (pluie, buée), étalant ses effets de lumière sur le visage de Rooney Mara. Sans surprise, les deux films parlent de la photographie : dans Carol, elle est un moyen d’accès au monde pour le personnage de Therese ; chez Trier, Huppert est photographe de guerre. Soit, à nouveau, deux rapports au cinéma : l’un amateur et urbain, un peu clandestin (on pense aux photos de Saul Leiter) ; l’autre académique, surcadrée, esthétisée, en un mot : sous vitre. Le jeu d’acteur de la vitre détermine le style même du réalisateur : d’un côté un cinéma qui carbure à l’affection, de l’autre, un cinéma littéralement vitrifié.
MJ
Des rangers et des talons hauts
Sicario, c’est d’abord un casting de mâles alpha (Josh Brolin et Benicio del Toro) entourant la gracile et obstinée Emily Blunt pour donner un coup de pied dans la fourmilière des narcotrafiquants mexicains. Et donc deux thématiques possibles filant à travers les péripéties de ce thriller glacial mais tendu. Dans l’une, viendraient se développer les clichés les plus éculés sur la question des moyens et des fins de la politique américaine. Heureusement, depuis qu’il a intégré Hollywood, le canadien Villeneuve a troqué ses velléités d’Angelopoulos rutilant pour le costume plus ajusté d’artisan trois étoiles. Moins d’opinions sur la vie, plus d’idées de mise en scène. Aussi le film préfère régler une toute autre question qui fait opportunément polémique sur la Croisette : les femmes doivent-elles monter les marches avec des talons hauts ? Non, répond Villeneuve qui chausse Emily Blunt de rangers et lui met un flingue entre les mains. Sauf qu’il ne suffit pas de s’habiller comme un homme pour en devenir un, et croire qu’on peut abolir la différence sexuelle. Alors qu’elle travaille pour le FBI, un agent gouvernemental la recrute pour des missions un peu plus couillues. Dans cette chevauchée en territoire ennemi, vaporisée de gros nuages de testostérone, la jeune femme semble toujours à la traîne d’une sauvagerie dont elle ne mesure jamais l’ampleur. Et c’est la très belle idée du film que d’associer son regard à celui du spectateur, égarant les derniers idéaux dans ce territoire de loups. En se plaçant du côté de son personnage féminin, le film observe ainsi avec terreur des groupes d’hommes réparer le désordre du monde à coups de M-16 et de virilité froide. Après Prisoners, Villeneuve confirme donc qu’il est l’un des cinéastes les plus minutieux du moment quand il s’agit de remplir le cahier des charges du thriller haute-couture.
GO
Un autre film indien
Comme Titli, Une chronique indienne (lui aussi à Un Certain Regard, l’année dernière), Masaan est un récit d’émancipation dans l’Inde moderne. Le film fait courir en parallèle deux portrait intimes (celui d’un homme et d’une femme, à la vie sentimentale fortement contrariée) en même temps qu’il procède à l’habituelle radiographie d’une société indienne entre tradition et modernité — disons, entre castéisme et Facebook. Les marottes sont les mêmes : comment s’arracher aux déterminismes familiaux et sociaux ? À quelques ajustements près, l’habillage aussi : intensité du quotidien, ruptures de ton. Sauf que contrairement à Titli, le premier essai de Neeraj Ghaywan n’est pas très captivant : l’intrigue ne tient pas en place, papillonne, soulevant un problème pour rebondir l’instant d’après sur un autre, mais surtout le récit donne l’impression de cumuler les péripéties en vain, au point de ne plus raconter grand chose. D’où un film à la fois convenu dans ses enjeux (la jeunesse en butte aux vieux) et totalement imprévisible dans son itinéraire, rappelant simplement que sur les rives du Gange, vie, mort et amour ne cessent jamais d’ondoyer.
LB
Chronic’art recrute (6)
Remontée inattendue de François, qui, avec 82% de compatibilité, rejoint le peloton de tête. Bravo Technikart. On compte sur Isabelle, Julien, et Gaël pour rattraper leur retard. Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais.