Une purge
Quatre ans après Oslo, 31 août, Joachim Trier poursuit tranquillement son petit bonhomme de chemin dans la catégorie du cinéma sans gluten. Présenté en compét’, Louder than bombs parvient sans forcer à être environ deux fois plus inepte que son prédécesseur, sans changer la formule : acteurs filmés comme des poireaux morts par une caméra sous Temesta, ambiance générale de pub pour livret A, musique au mètre pour boucher les trous comme on pose des joints en mastic. Un changement de standing toutefois, en vue probablement de cette sélection en compét : Trier tente le discours sur l’époque, rayon « les nouvelles images et nous ». Sur ce point, nouveau prodige puisque le film réussit, les doigts dans le nez, à battre les records de tautologie neuneu des derniers Wenders. À partir de là, deux hypothèses. Ou bien cette vertigineuse vacuité va dessiller un bon coup les yeux de tous ceux qui avaient trouvé leur compte dans Oslo. Ou bien on retrouve Trier ici-même dans trois ans, à la même place, comme si de rien n’était. D’expérience, mieux vaut parier sur la deuxième.
JM
Une grasse matinée
Personne ne s’est réveillé ce matin pour aller à la projection de La Loi du marché. Pour cause, certains d’entre nous l’avaient déjà vu à Paris, et n’ont pas réussi à convaincre les autres de sacrifier deux heures de sommeil pour cette pantomime sur la vie des petites gens. Snobisme ? Pas du tout. On vous explique tout ici.
LB
Un gros rebondissement
On n’a pas tenu plus de trois quarts d’heure devant Les Cowboys, le premier film du plus-grand-scénariste-français-depuis-Michel-Audiard. Difficile en même temps de résister face à cette relecture grolandaise de La Prisonnière du désert, menée santiags aux pieds et chapeau sur la tête par un François Damiens qu’on a connu plus souverain dans l’art du ridicule. Trois quarts d’heure, c’est pourtant le temps qu’il fallait patienter pour voir Thomas Bidegain abattre sa carte maîtresse scénaristique. Une amie vaillamment restée dans la salle nous informe ainsi par texto : “T’as raté le gros rebondissement.” Mince.
LB
Cannes : comment ça va avec la douleur ?
Deux secousses, hier, pour Chronic’art. L’une, surgit de nulle part, est venue remettre en question notre imperturbable solidarité éditoriale (aimer un film de Maïwenn, sérieux ?) ; l’autre a embrasé un feu dont on pouvait prévoir la combustion, mais dont on était loin d’imaginer l’envergure (un ersatz de Jeff Nichols pond le nouveau Massacre à la tronçonneuse, vraiment ?). Alors que le manque de sommeil commence à faire son effet, les deux films avaient déjà, pour eux, de réveiller sans délai. Une vivacité qui repose par ailleurs sur une même faculté de rebattre constamment les cartes de leur équation dramatique : équation amoureuse pour Mon Roi (un homme et une femme qui se séparent mais continuent d’être aimantés l’un par l’autre), équation horrifique pour Green Room (deux groupes doivent s’entretuer mais la chair n’en finit pas de résister). Le slasher de Jeremy Saulnier a traumatisé la Quinzaine en maintenant un niveau d’inconfort quasi irréel : impossible de s’acclimater à ce jeu de massacres en huit clos, puisque la violence surgit chaque fois selon des modalités différentes. Connaissant le sujet et son auteur, on pouvait craindre avec Mon Roi le nombrilisme au carré et le best of sentimental. Mais paradoxalement, la réalisatrice semble profiter de son échafaudage autobiographique pour dépasser ses habituelles facilités (cette direction d’acteur musclée et cet science inné de simulation du réel). Récit d’une sujetion, Mon Roi n’entretient jamais son duel amoureux en vain, mais le reconfigure, le relance, le redéploie, comme si chaque séquence consistait à plonger son duo dans une succession de bains chimiques. Surtout, les deux films ont en commun de graviter autour de deux blessures physiques lourdes, accablant leur protagoniste hors-champ pour mieux leur permettre une renaissance à l’écran : des ligaments croisés fracturés, dont la rééducation symbolise sans détour la cicatrisation amoureuse d’une femme ; un avant-bras déchiqueté comme une saucisse, dont le raccommodement sous chatterton libère à point nommé un punk ingénu de son inaptitude à la violence. Comme quoi, avant de courir, il faut savoir se tirer une balle dans le pied.
LB
Un kit écolabélisé
Après les films de Kawase et Gus Van Sant, Vers l’autre rive confirme la tendance shinto et forêts du festival dès lors qu’un nom japonais apparaît au générique. C’est – à grands traits – la répétition d’un même motif qui voit les vivants et les morts dialoguer aux pieds d’arbres moussus, comme si les films se devaient d’être des kits écolabélisés d’apprentissage de la vie. Il y a donc un peu de cela dans le film de Kurosawa dont la narration se structure autour d’un paresseux voyage initiatique. Trois ans après sa disparition, le mari de la fragile Yusuke réapparaît comme s’il n’était parti que la veille, et l’informe tranquillement qu’il est mort. Il lui propose alors de retrouver des gens qu’il a connus au cours de ces trois dernières années afin de les aider. A chaque étape, c’est à un visage du deuil impossible que le couple se confronte, dénouant au gré de ces rencontres les propres fils emmêlés de sa relation noyée dans la mort. Traversé de part en part par une mélancolie funèbre, Vers l’autre rive fait donc le récit d’une résignation à la séparation, en plaçant les vivants et les morts sur le même terrain spectral. C’est la première belle idée du film que de regarder les disparus comme des êtres à l’égale présence des vivants. L’autre tient à cette science du fantastique associée généralement au cinéma de Kurosawa lui permettant de figurer ici les passages entre vie et mort par la simplicité gracieuse de son découpage. Le problème reste que cette maîtrise étouffe tout le film dans des règles de grammairien comme si, de vouloir s’en tenir à son programme, Kurosawa oubliait d’écouter respirer ses personnages. Croyant ramener les morts vers les vivants, le film fait ainsi le choix inverse : précipiter tout le monde dans les eaux étales du Styx.
GO
Le scandale du jour
… Si ce n’est de l’année, à écouter les fans qu’Apichatpong Weerasethakul traîne dans son sillage, c’est la sélection de Cemetery of Splendour à Un certain Regard plutôt qu’en compétition officielle. Le film, d’ailleurs, n’avait pas commencé qu’une partie de la salle frétillait déjà en attendant la becquée chef-d’oeuvrale, au point qu’on pouvait se demander s’il était encore nécessaire de lancer le projecteur. Mais il le fallait bien tout de même, d’abord pour respecter le protocole, et surtout nourrir d’un peu de matière lumineuse ce film précocement rêvé. Pour certains il s’agissait moins de voir le film que d’offrir une cérémonie collective à leur croyance. Au final, si le cinéaste parcourt sans surprise le terrain balisé de ses obsessions, il opère un léger mouvement de déflation à l’endroit de ses images. Moins oniriques, elles restent le plus souvent arrimées aux décors naturels, tous situés dans la ville natale du réalisateur. Traversé par ces lieux d’enfance, Cemetery of Splendour est donc probablement le film le plus personnel de son auteur. Un film qui vise moins le rang de monument arty que celui de guide secret dans son oeuvre. La parole y prend une importance singulière, tandis que s’affirme la croyance absolue que l’appareillage cinématographique est un instrument médical, offrant une luminothérapie pour ses personnages comme ses spectateurs. En croisant les songes de ses deux personnages principaux, Cemetery of Splendour fait advenir dans la trame de ses plans leurs visages comme deux sublimes épiphanies.
GO
Chronic’art recrute (épisode 5)
On est très contents pour les Cahiers du Cinéma: Vincent prend la tête du classement. Bravo à tous les candidats.