Hasard ou coïncidence ? « Marietta » est le nom d’une petite localité de l’Oklahoma, USA, appartenant au comté de Love. Oui oui, le « Comté de l’Amour ». Guillaume Marietta, lui, vient du duché de Lorraine, mais son groupe principal s’appelle The Feeling of Love, et ses chansons semblent ne parler que de ça : de l’amour. Pas vraiment pour le magnifier, d’ailleurs, plutôt pour en extraire un spleen délicat, qui se dépose sur ses compositions comme une couche d’or fin. L’amour heureux n’a rien à dire : déçu, il pourrait s’épancher jusqu’à la fin des temps. Le passé devient un mythe, un idéal, et l’art une tentative de le faire revivre – toujours ratée, toujours remise sur la planche. On pourrait le voir comme ça, l’amoureux brisé : celui qui doit faire le deuil du particulier, pour retrouver une essence – le Sentiment d’Amour pur, portant sur lui toute la Création, et au-delà.
Cette générosité, on la trouve chez Marietta sous la forme d’une discographie relativement abondante, et d’une volonté de ne jamais s’enfermer dans une formule : « Dissolve Me » (quel titre!), le premier album de The Feeling Of Love, mélangeait garage et krautrock, quand le second, « Reward Your Grace » (quel titre!), lorgnait vers le shoegaze et la pop nineties.
C’est naturellement sur Born Bad Records que l’on retrouve le troisième album officiel de Marietta, cette fois-ci en solo. Basement Dreams Are The Bedroom Cream (quel titre!) est présenté comme un album « plus intimiste, enregistré en solitaire et bricolé dans une chambre sur un 4 pistes à cassettes »… Mais ne vous enfuyez pas ! Loin des atermoiements du folkeux qui a décidé de nous confier à la guitare sèche la douce amertume des petits matins de Brooklyn ou de la rue Montorgueil, Marietta a une vie intérieure riche de paysages désolés qui ne demandent qu’à s’imprimer sans fausse pudeur sur la bande magnétique. Membre éminent de la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, pas du genre à flatter le hipster, il ne s’essaiera au registre du retour sur soi et de la sobriété technique qu’à condition de partager son goût du beau bizarre et de l’arrangement bruitiste.
De fait, l’album se mérite : en apparence dénué de temps forts, il demande une certaine patience, un va-et-vient, une mise à l’écart parfois. Puis on y replonge, et on ne le lâche plus. On s’émerveille de voir autant d’influences digérées, jamais plagiées : « The Piper At The Gates Of Dawn » se mêle à la ritournelle du « Murderers » de John Frusciante, Dylan rencontre Sonic Boom. La contrainte technique (quatre pistes c’est peu, quand on y pense) pousse l’inspiration dans ses retranchements : il faut aller droit au but, épurer le morceau pour n’en laisser que le cœur.
Pourtant, l’orchestration paraît pharaonique (« Chewing Your Bones ») : de la boîte à rythme au faux violon, tous semblent jouer la partition de leur vie. Les instruments hurlent dans un déluge d’effets, les collages se succèdent, toutes les pédales de guitare y passent, et la voix humble de Marietta, posée sur des textes à fendre le cœur, chante avec mélancolie l’éternelle même histoire, comme pour nous consoler. On n’a pas encore saisi tous les mouvements bigarrés de cet album plein de chausse-trappes, mais on a la certitude d’avoir là quelque chose qui dure, un disque qu’il faudra user, encore et encore. On préfère ça, plutôt que l’atteindre un jour, leur « Comté de l’Amour » : d’ailleurs c’est loin, et ça a l’air totalement plouc.