Bavière, village de Finsterau, 1947. Une femme et son bébé sont trouvés morts, tués à coup de houe dans leur maison. Aussitôt la police soupçonne le grand-père. Ce dernier n’avait jamais accepté que sa fille ait couché avec un soldat français pendant la guerre, et ils se disputaient sans cesse parce qu’elle n’était pas assez religieuse à son goût. Milieu pauvre et bigot, où la violence n’est jamais loin. « L’argent leur avait toujours fait défaut, la misère s’invitait souvent chez eux, et depuis qu’avec elle et le petit il y avait deux bouches de plus à nourrir, c’était encore plus juste ». Le comportement aberrant du vieux lors des minutes suivant la découverte des corps et son baragouinage obtus lors de l’interrogatoire, qu’on a pu prendre pour des demi-aveux, ont achevé de convaincre la police. Mais vingt ans plus tard, dans un bistrot de la région, un soulard prétendra détenir des informations sur l’affaire, expliquant que le vieux n’était pas l’assassin…
On pense aux derniers récits de Jacques Chessex (Le vampire de Ropraz) en lisant ce court roman d’Andrea Maria Schenkel (La Ferme du crime, Un tueur à Munich) : même milieu rural un peu moisi, même ambiance sinistre (ici, l’immédiat après-guerre, les rancœurs héritées de la période nazie), et surtout même concision, bien que la romancière allemande n’ait pas le style classique et acéré du Suisse. Au fil de courts chapitres, deux à trois pages chacun, elle alterne les points de vue des protagonistes de l’affaire, aux deux époques du récit : la victime et le vieux au moment du crime, des témoins, des policiers et d’autres acteurs vingt ans plus tard. Malgré sa grande économie de moyens (ou à cause d’elle), la romancière creuse profondément la psychologie des personnages, et trace par touches un tableau saisissant des mœurs et du milieu. Plus que l’aspect « polar » proprement dit, quoiqu’il soit loin d’être inintéressant, c’est ce regard froid sur ses héros qui fait l’intérêt de ce beau roman noir, mi-allégorie, mi-conte policier.