Petit génie des nouvelles technologies, le jeune David est filmé par sa soeur aux prises avec son dernier joujou. L’objectif de cette vidéo : prouver aux sélectionneurs du MIT qu’il mérite une bourse d’étude. Son invention a presque tout du super-pouvoir, et consiste a dompter un drone sans télécommande. Mais, emporté par son enthousiasme, privilégiant le spectacle à l’efficacité, il finira par perdre le contrôle de l’aéronef pour le laisser s’échapper dans le ciel. Une semaine plus tard, la nouvelle tombe : malgré son panache, la bourse lui est refusée et, pour vivre son rêve, sa mère doit débourser un argent qu’elle n’a pas. Heureusement, l’horizon de ce lycéen va se dégager, et sa vie totalement changer lorsque, découvrant une vieille vidéo de famille, il entraperçoit sa silhouette au fond de l’image, en train d’observer le petit garçon qu’il fut souffler sa bougie d’anniversaire. De quoi lui mettre la puce à l’oreille : et s’il avait inventé une machine à voyager dans le temps ?
On sait, depuis l’indépassable Spiderman, quelle connivence entretient le genre du teenage movie avec celui du film de super-héros (et plus généralement, avec le genre fantastique) : combien l’un et l’autre se régurgitent et se complètent et comment, en une étreinte, ils peuvent révéler l’inconscient des adolescents. Ce qu’illustre ce mariage, c’est ce réflexe typiquement américain de mêler le domestique avec le surnaturel, en même temps qu’une certaine idée de l’adolescence vue comme état embarrassé et transitoire : une énergie fraîche et inemployée, laquelle n’aurait besoin qu’un peu de poussière de fées pour s’envoler. Un envol qui accueille avec lui deux éclats contrastés (l’ivresse et son envers, la panique) dans lesquels il n’est pas exclu de voir les plus vives couleurs pour dépeindre le mythe adolescent. Ce sont ces mêmes vents contraires qui agiteront la bande de nerds de Projet Almanac, au moment de se rendre compte qu’à portée de main se trouve un pouvoir à la fois sublime et trop gros pour eux.
Cet affolement mâtinée d’inconséquence trouve en apparence une forme idéale dans le found footage opportuniste dont le film — en bon croisement revendiqué de Projet X et Chronicle — se drape pour ressembler à son époque, considérant (pas toujours à tort) qu’il suffit de s’habiller des signes des temps pour parler du contemporain. Malheureusement, on est assez loin du beau journal intime filmé de Josh Trank, et même très en dessous du pourtant pas fameux home movie de Nima Nourizadeh. Déserté par l’ambition et les idées, Projet Almanac agite son simulacre d’hystérie domestique sans aucune raison — sinon celle de maintenir son postulat fantastique à une hauteur triviale, familière, et en vérité strictement commerciale. L’idéal romanesque de Dean Israelite, ce sont les publicités pour smartphone (l’invention finira d’ailleurs réduite à un portable) et leur éloge du monde intensifié (chaque individu est un héros, et le moindre événement un spectacle). Aussi, durant tout le film, la bande ne pensera qu’à ses petits plaisirs et n’aura pas beaucoup de suite dans les idées (climax : chopper des places VIP du Rock en Seine local) ; quand habituellement, le super-pouvoir est précisément ce qui arrache le teen du socle moelleux de l’inconséquence, hypertrophiant le délire juvénile au point de précipiter la maturité. Ici, c’est comme s’il s’agissait de tenir à distance la menace de la responsabilité, ce présage qui ne cessera pourtant jamais d’être, chez les adolescents comme chez les super-héros, la conclusion amère de toute expérience.
C’est cette gravité forcée, avec toute la mélancolie de la perte induite, qui ne sera jamais trouvée par cette paresseuse production Bay/MTV, laquelle se contente d’adhérer (jusque dans ses affiches promotionnelles rehaussées de tweets anonymes) à une contemporanéité 2.0. à la fois gogole et émoussée, refusant de fantasmer d’autres désirs à son héros sinon celui — basique mais, disons-le, toujours parfaitement opérant — de pouvoir embrasser la plus jolie fille du lycée. Du film d’épouvante (revoir It Follows) au petit bricolage SF, le premier baiser et la première fois restent cet éternel ébranlement de l’âme justifiant le fantastique, cette fissure opérée sur le monde à l’intérieur de laquelle tout peut s’engouffrer. Et il faut savoir gré au film — par ailleurs nul, sans conviction, totalement bordélique — de trouver quelques minutes de grâce inattendues quand le héros, emmêlé dans l’embrouillamini causal inhérent au time travel, comprend qu’il doit vider le bébé avec l’eau du bain — c’est-à-dire effacer le souvenir où, pour la première fois, il embrassa cet amour inaccessible. C’est la belle ironie du grand spectacle de poche, que de faire tenir au sommet de sa pyrotechnie tonitruante le tremblement suave des premiers émois.
On a tous fait ces rêves un peu frustrants où, trouvant sur notre chemin une incroyable somme d’argent, la femme idéale, un talent insoupçonné ou un parent disparu, il nous semble pourtant impossible d’en jouir, comme si notre inconscient cherchait à nous protéger de nos propres mirages — pénétrant l’atmosphère d’une ombre de suspicion, ou dressant ça et là des obstacles totalement absurdes. Le bonheur y est cette illusion friable, qui se suspend devant vous pour s’effriter au moment de s’en emparer. Tout le film aurait du ressembler à ces rêves.