Ce qui augurait il y a encore quelques années d’un authentique renouveau psychédélique – avec son lot de colifichets et de gri-gris mystiques – s’est rapidement transformé en une entreprise de rétropédalage à l’avenir incertain, davantage axé sur des tics formels (farfisa trempé dans le formol, riffs répétitifs jusqu’à plus soif, arrangements chatoyants) que sur l’expérience à part entière d’un état de conscience modifié. A de rares exceptions prêt, parmi lesquelles on recensera essentiellement les amanites les plus vénéneuses de la Not Not Fun school, le sauna glacé de la vaporwave ou les diffractions du label Orange Milk, ornées des pochettes néo-surréalistes de Robert Beatty.
Si pléthore de groupes se sont égarés dans une quatrième dimension plus sub-atavique que subaquatique, d’autres s’efforcent de régénérer de l’intérieur ces concepts vieux comme le monde. Il en va ainsi du rennais Black Zone Myth Chant, qui opère également sous le nom High Wolf , découvert à la faveur d’un premier disque fraîchement réédité sur Laitdbac, et qui opérait déja dans une hors-zone indéfinissable, entre hip-hop envapé et chillwave végétative.
Troisième sortie des Editions Gravats, le prometteur label piloté par Low Jack, Mane Thecel Phares tourne en orbite autour de drones crépitants et de percussions éparses, déclinés sous forme de mantras. On y lit moins la volonté de faire sienne une syntaxe prévisible que de s’engouffrer spontanément sur le lit d’un fleuve instable, en surfant sur des vagues électroniques au ralenti, en malaxant ensemble des couches et des couches de samples et de séquenceurs croulants sous les effets. Grumeaux synthétiques, psalmodies pâteuses et visions d’un au-delà extra-terrestre y ouvrent une brêche vers un folklore interplanétaire, placé sous les auspices de Sun Ra et Bobby Beausoleil (la bande-son du mythique Lucifer Rising de Kenneth Anger n’est jamais très loin).
Au fur et à mesure que l’album progresse, les repères habituels baissent la garde au profit d’un univers moins explicite: celui d’un afrofuturisme cul par-dessus tête, où des percussions à cloche-pied trébuchent sur des bribes de voix ralenties, comme si Dark Vador était doublé par DJ Screw; des voix aussi intelligibles que des hiéroglyphes et aussi lancinantes que des incantations sous peyotl. Plus sombre et occulte que High Wolf, BZMC donne du fil à retordre tant il démultiplie les combinaisons: ambient synthétique dans l’héritage d’Ash Ra Tempel (« In the Arms of the Parcae »), instrus hip-hop en phase terminale de déliquescence, hachés et heurtés comme les productions de Eric Copeland (« Orbit Slut »), 2-Step passé au tamis d’un afrobeat transgénique (« Two Stars, No Cross »), sonorités d’un James Ferraro qui aurait retrouvé ses fondements noise (« He Evil »), cérémoniaux carrément flippants (« Belshazzar », « Pass Over Into Nothing ») ou décollage vers les hautes sphères (« if God is not here »). On songe aussi très fort aux joyaux du pionnier Craig Leon, qui créa à l’orée des années 1980 une folk music d’un autre monde, inspirée de la théorie des Anciens Astronautes.
Au final, l’objectif de BZMC est presque atteint: rendre audible un chant des origines et retrouver des sensations profondes ancrées dans la découverte de l’inconnu, même s’il pêche parfois par une certaine complaisance pour les ambiances ésoterico-urbaines à la frontière du new age, quelque peu surexploitées ces derniers temps. A l’heure où la science est à deux doigts d’adhérer à l’hypothèse selon laquelle l’origine de la vie sur Terre serait extra-terrestre, on serait néanmoins bien avisé de l’accueillir les oreilles grandes ouvertes, le troisième oeil pointé dans l’axe du Soleil.