Amis du noir et blanc charbonneux et du sound design au gramophone: bonjour. Restera-t-il cependant du monde dans la salle, au terme de ces 88 minutes de tics arty parmi les forêts de pins et les chemins terreux ? Ceux qui ne jurent que par les accrocs de pellicule, le paysagisme au bromure d’argent et les récits en déshérence devraient en tout cas être comblés, tant dans son genre méritoire (le portrait expérimental mutique), Two Years at Sea s’avance en périple affable — direct, monté avec parcimonie, chichiteux sans excès.
Au rythme d’un quotidien fragmenté en épiphénomènes élémentaires (prendre une douche, aller aux toilettes, des choses comme ça), l’ermitage de ce petit barbu isolé dans les Highlands écossais a tout de la Robinsonade pépouze : le vieil homme range ses affaires sans aucune raison, comme on tenterait de ranger son cerveau avant de mourir, découvre parfois sous un carton des photos de famille, reliquats d’existence abandonnés là comme des peaux mortes. Dilatés dans le temps, quelques coups de forces viennent un peu trop enfoncer les portes ouvertes du sujet : un bateau dérive im-per-ce-pti-ble-ment sur l’eau (tiens tiens) ; un feu de camp éclaire un visage fatigué, avant que le sommeil et la nuit ne viennent former un fondu au noir naturel (hum hum).
Armé de trois ou quatre postulats de mise en scène absolument ostentatoires mais parfaitement maîtrisés, le film vit sa vie sans trop faire d’effort pour être captivant. Surtout, tout paraît couru d’avance dans cet auguste poème sur la retraite solitaire façon Thoreau. D’où l’impression que des deux côtés de la caméra, chacun s’emploie avant tout à tenir son rôle : l’ermite en restant muet et en cassant du bois ; le cinéaste en épinalisant toute cette autarcie volontaire en jolies natures mortes. Une double carapace plutôt accommodante, pour cet objet à la fois ultra-lisible et en total circuit fermé.