Après l’approche « BPM en 4×4 et saturation noise maximale », entamerait-on une nouvelle phase dans la musique électronique prête-à-toutes-les-extrémités? Laissant derrière lui le tout-venant de la technoise au kilomètre, BAT – pour Best Available Technology, en toute ironie – resserre l’étau à triple tour sur son arsenal low-tech, cravache et gode-ceinture en option. Ca claque sec et droit, mais sans complaisance; ça appuie là où ça fait mal, mais juste quand il faut. Form and Void: la forme et le vide. Nous voilà d’emblée rentrés dans le vif du sujet. Cinquante ans que la musique électronique tente de se dépatouiller de cette invariable dichotomie, de la rigueur zen (Cage, Feldman) au déhanchement pelvien (Suicide, DAF et leur douze millions de moines copistes à travers le monde). Tout est affaire de plein et de vide, de silence et de bruit, de tempos et de timbres, d’amplitude et d’intervalles. Pas besoin d’avoir potassé Pythagore et de s’être fadé l’intégrale du GRM (encore que) pour piger ça; l’intuition bien placée recoupe fréquemment les cerveaux gros-comme-ça et vaut toutes les qualifications musicales du monde. Et c’est dans son âpreté même qu’éclôt la justesse du propos.
BAT, aka Kevin Palmer, passe par toutes les figures imposées de ce subgenre à part entière, très tendance dans le clubbing tête-chercheuse de ces trois dernières années – à savoir des déflagrations technoïdes d’obédience hardware viciées par un limon corrosif, une bile noire et toxique qui libère autant qu’elle empêche la pleine expression du désir de tout faire péter dans la baraque. Car la retenue et la tension sont l’un des pivots de cette musique revêche, bien moins bourrine qu’il n’y paraît. Rassurez-vous, personne n’a relâché les punks à chien sur le dancefloor; dans l’arrière-boutique de BAT, on a beau forcer la dose à tous les points de vue, pas question de s’engluer les semelles en beuglant « Allleeeeeeeeey ». Non, chez BAT, on s’enorgueillirait plutôt de concilier raffinement et brutalité, pondération et hubris, rasoirs effilés et strobos qui grésillent, plage de sable fin et marée noire. Vertus du ligotage pour raffermir la chair et émollients chimiques pour fluidifier le sang. Avec, en ligne de mire, la lumière au bout du tunnel.
S’il cède parfois au systématisme de la linéarité (boucle un jour, boucle toujours), BAT y agrège un essaim de fréquences qui vient en éroder la stase, horizontale jusqu’à l’anémie (« une musique qui ne pousse pas », aurait diagnostiqué Morton Feldman). On se situe ici plutôt dans la lignée des Prostitutes, SHXCXCHCXSH et autre Vessel: les trépidations electro-magnétiques d’un caténaire, le grésil d’un séquenceur rongé par les delays ou le bleep d’un encéphalogramme gavé de distorsion. Ici, une pulsation de jackin’house se fait dépecer par des piranhas grésillants (OMNIVM), là des tronçons de guitare entrent en collision avec des stries d’ondes carrées à donner des hauts-le-coeur à Black Dice (ELECTORVM). Le titre IOVIS lorgne quant à lui vers une techno-dub millésimée Basic Channel/Maurizio dont l’élégance un peu hautaine aurait été prise en défaut par un jet de Destop avant d’être négligemment concassée au blender, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une carcasse en tôle rouillée. Chez BAT, pas de quartier pour le maniérisme, la houle des machinosaures analogiques prend le dessus sur les intervalles de silence. Quelque chose comme un esprit de conquête réservés à ceux qui savent qu’ils ne conquéreront jamais rien, hormis une ribambelle d’avant-freaks en rupture de ban. Il n’y a rien à gagner, si ce n’est une bonne décharge d’adrénaline, mais il n’y a rien à perdre non plus. Alors quoi? Une version thug life de Alva Noto, peut-être? Des cours du soir de circuit bending pour noise-rockers repentis? La relève de la musique électronique made in Portland? Va savoir. C’est en tout cas terriblement stimulant.