L’Islandais Andri Snaer Magnason réussit ici une très jolie satire poétique : drôle, grinçant, surprenant, intelligemment outré, LoveStar recèle également quelques moments d’une surprenante douceur, cachés là où on ne les attendrait pas. Au-delà de l’ironie, de la critique, ces moments nimbent le monde qu’il décrit de poésie, l’humanisent alors qu’il perd par ailleurs toute retenue, le rendent accessible en même temps qu’ils le posent à distance. C’est la grande réussite de cette dystopie islandaise : faciliter l’outrance, et en faire un impossible absurde, pourtant très proche.
Reprenons. L’Islande, sous la houlette de LoveStar, créateur génial, est devenue une sorte de Disneyland. Y règne l’entertainment comme mode de vie, la consommation comme credo. L’homme, libéré de ses chaînes, y est devenu un homme sans fil, « doté d’un sens de l’orientation plus développé que le labbe parasite et plus libre que le papillon monarque ». Au programme, fin de la vie privée, fin de l’individu, pub déversée au creux de l’oreille, avènement du consommateur ultime, déresponsabilisation absolue, avec un merveilleux logiciel, ReGret, qui vous confortant dans chacun de vos choix. Quant à LoveStar, depuis ses terres islandaises, il assure sa mainmise sur les marchés de la Mort et même de l’Amour, grâce au génial « inLove », un logiciel qui perlmet de déterminer qui, sur Terre, est notre « calculé ».
LoveStar s’est même lancé dans la quête ultime : découvrir où vont les prières de l’humanité qui, quoique bien prise en main, reste proie au doute. Mais c’est compter sans deux facteurs, le hasard et la chance. Car au moment où commence le récit, il reste à peine quatre heures à vivre à LoveStar, réfugié dans son avion, plongé dans la contemplation d’une graine. Cette annonce étant faite dès le prologue, le roman va simplement nous apprendre ce qu’est cette graine, qui est LoveStar, pourquoi le système a failli, et nous faire rencontrer Indridi et Sigrid, résistants de l’ère moderne, tombés amoureux avant d’être calculés, en passe d’être brisé par la machine LoveStar.
C’est dans les tribulations d’Indridi parti en (recon)quête de sa moitié que Maganson laisse le plus libre cours à son imaginaire, féroce et méchamment drôle. Il y a l’usine de pluviers dorés chantant « Sublime ! Sublime ! », remplacée par une fabrique à Renards (Vinking CenturyFox) ; le « Grand Méchant Loup Louve dézippable » du Petit Chaperon Rouge ; les Mickey carnivores, un must… Pendant qu’Indridi remonte vers le Grand Nord, Les Festivités du Million d’Etoiles débutent. Telle est la fin du Monde selon LoveStar. Mais, comme dans toute dystopie qui se respecte, la fin d’un monde est aussi l’ouverture sur un renouveau. LoveStar est un conte de fée remanié, une relecture du thème de l’homme-gadget, un camouflet aux croyances aveugles. Un roman d’actualité.
Traduit de l’islandais par Eric Boury.
Crédits image : Christopher Lund