Imaginons que vous êtes dans le train et que Vincent Lindon, ou Richard Anconina, ou qui vous voulez, s’assoit face à vous. Que faites-vous ? A 99%, vous sortez votre portable pour prévenir un ami par texto. Réflexe universel, chez qui ne voit ordinairement de gens connus qu’à la télévision : on ne peut pas s’empêcher d’être surpris de les rencontrer en vrai. Si on faisait la liste de toutes les célébrités qu’on a croisées dans notre vie, on tiendrait une autobiographie en creux, ou plutôt en miroir, ainsi qu’un tableau d’époque (qui était connu en 1975, en 1986, en 1993, en 2006 ?).
Telle est l’idée de Guy Robert (ce nom, franchement ! Il s’en moque lui-même) dans Reconnus, récit en courts paragraphes de ses rencontres avec des gens célèbres. Petit, il a vu Pink Floyd en concert. Aragon est passé devant lui sur un parking. Un jour, il a mangé dans le même restaurant que Daho. Etc. Puisque n’importe quel quidam s’en serait vanté, pourquoi pas lui ? Et voilà le dispositif de ce drôle de petit livre qui est à la fois une performance (une « œuvre »-concept à la Edouard Levé, si on veut), une autobiographie et une méditation sur l’idée de célébrité, si dérisoire et si puissante.
De page en page, il tourne tout en dérision, se gonfle avec malice (« Le testament d’Alfred Nobel, demandant la création d’une institution qui récompenserait chaque année des personnes ayant rendu service à l’humanité, a été rédigé soixante et un ans jour pour jour avant ma naissance. C’est un signe »), et salue Eric Chevillard, dont l’humour n’est pas loin du sien. Chevillard, lui, est carrément connu, non ? Il pourrait écrire sur son blog, où fleurissent les paradoxes, qu’il a désormais son ticket pour la postérité, puisqu’il a son nom dans un livre de Guy Robert.