Little Big Planet, tout le monde le sait, c’est fait pour créer ses propres niveaux. Subtils ou potaches, classiques ou post-modernes, sages et bucoliques ou pop et référentiels, voire complètement dingos, absurdes et no future. Mais, à part ça, quel intérêt ? Le mode aventure, c’est bien connu, n’est qu’une démo de ce que les joueurs, une fois maîtrisés les outils mis à leur disposition, seront en mesure de concevoir eux-mêmes. Au mieux, c’est une incitation à se bouger un peu, un défi à relever. Dis, toi, là, le gamer, tu crois que tu peux faire mieux que ce monde ciné-60’s avec rocker à banane, « Mr Sandman » d’époque et machines à milkshake géante ? Et t’as vu mes cosaques cocasses qui font les fous sous la neige ? T’aimerais bien faire pareil, hein ?
Oui, non, peut-être. Je ne sais pas, je m’en fous, répond le joueur si son désir n’est pas là, s’il préfère dialoguer à distance (en parcourant leurs mondes drôles et piégeux) avec les game designers plutôt qu’essayer de prendre leur place. Après tout, quand on va au cirque, on n’a pas forcément envie de monter tout en haut jouer les équilibristes sans filet, se dit le même joueur contrariant. Par contre, ajoute-t-il, regarder les pros qui dressent le chapiteau, espionner les clowns qui se maquillent dans leur roulotte ou visiter la ménagerie, ça peut être très chouette. Ça tombe bien : la position du joueur non créateur de Little Big Planet (3, mais avant aussi) est exactement celle du spectateur qui, sans sortir de son rôle, se voit offrir la possibilité de jeter un œil en coulisses. Et, miracle, découvrir comment il se fabrique ne fait pas aimer moins le show. Loin de là : on s’en sent plus proche, on le chérit encore avantage.
Cet effet « coutures apparentes », qui ne concerne donc pas que les petits Sackboys que l’on dirige et déguise mais bien l’ensemble du jeu, frappe encore plus dans cet épisode 3 – les versions portables n’ont pas eu droit à leur numéro – de la saga plateforme do-it-yourself née chez les petits génies britanniques de Media Molecule et désormais entre les mains (fort habiles) de leurs compatriotes de Sumo Digital. Peut-être parce que le jeu change (et gagne en variété) avec l’introduction en cours de partie de nouveaux héros aux capacités différentes de celles de Sackboy – le chien Oddsock file et saute de mur en mur, Toggle grossit et rétrécit, l’oiseau Swoop s’envole. Peut-être aussi parce qu’avec son petit côté « Metroidvania », Little Big Planet 3 donne le sentiment d’un monde enchevêtré et en chantier. Peut-être, enfin, parce que l’on sait que certains membres de l’équipe de développement ont conçu des niveaux en amateur avec les jeux précédents avant de rejoindre la, disons, grande famille officielle du cirque LBP.
Toujours est-il que la partie scénarisée du jeu, que l’on parcourt seul ou à plusieurs selon qu’on aime ou non les gens qui font des bonds dans tous les sens comme si leur vie en dépendait – on les adore –, est loin de se révéler dispensable au prétexte que, bon, tout le monde pourrait faire ça. C’est même le contraire qui se produit : la présence des outils (du mode d’emploi, des cuisines, des câbles qui font tenir le chapiteau) rend encore plus prégnante celle de l’auteur. Ou de l’artisan, de l’architecte, du designer, appelons-le comme on veut : de la fille ou du gars qui a fait le truc. C’est pour cela que Little Big Planet 3 n’a rien d’une suite-redite bassement mercantile. Il possède une âme. Des âmes, même, plein d’âmes. Et un petit bout de notre cœur.