Machine aussi parfaitement huilée que l’horloge de Big Ben, déployant l’artillerie lourde de la BBC, la première saison de Peaky Blinders donnait l’impression de tout réussir sans grands efforts. Un récit dense, serré, une galerie de personnages violents et pittoresques, une ambiance tenace, savemment agencée. Tout concourait à faire de cette chronique du crime organisé UK du début du 20ème une réussite exemplaire autant qu’une réponse thématique et structurelle revancharde aux canons du drama US. Quoi de neuf pour la gang family Shelby cette saison ? Véritable boss de Birmingham, Tommy rêve maintenant de conquérir Londres et d’étendre l’empire du clan vers des activités légales avec l’appui d’un gang juif local, au risque de s’attirer les foudres d’un autre grand patron, Sabini. Pollie est à la poursuite de son fils mais craint qu’il ne puisse se retrouver mélé par la suite aux exactions familiales, tandis qu’Arthur, bras droit et compagnon d’armes de Tommy, sombre dans une dépression sanguinaire.
Un peu moins lisible dans sa dramaturgie politique au fur et à mesure que Tommy devient le pion des services secrets britanniques, la série se repose pour le reste sur ses non-moins brillants acquis. Manly en diable, le show distille, aux grés d’une bande-son moite dominée par la discographie de PJ Harvey, Nick Cave et Jack White, son ambiance d’épaisses volutes de tabac, de cuir usé de banquettes de pubs, de cieux lourds et de scotch douze ans d’âge. On pense à la série de tableaux célébres des chiens jouant au poker, tant les showrunners composent encore cette fois-ci sans grande rupture scénaristique – c’est sa limite – un parfait canvas d’intrigues tout entier dévoué à la catharsis d’un épisode final forcément bordeline, brutal, jouissif. Ce léger lèse-majesté dramaturgique se trouve parfaitement cristallisé dans sa figure dominante, tutélaire, Tommy Shelby, toujours incarné par l’imparable Cillian Murphy.
Symboliquement, à force de représenter la somme positive des caractères de son clan (la puissance d’Arthur, l’émancipation féministe autant que le sentimentalisme de Pollie, l’intelligence stratégique du jeune Michael…), Tommy acquiert ce statut inconfortable d’îcone en apparence intouchable. S’il réserve à ses ennemis ayant servi comme lui dans les tranchées une dignité particulière, les traumas de la guerre en France (bien présents dans la saison 1) sont derrière lui. Et en pur élan de force, d’intelligence et de bienveillance clanique, difficile de se l’imaginer finir comme Tony Soprano ou Walter White. Il lui manque ce que Bryan Cranston résumait d’ailleurs parfaitement en interview au sujet de Breaking Bad: “C’est un conte moral au sujet de prise de décisions catastrophiques. […] Prenez la personne la plus adorable, le plus inoffensive. Cette personne prise dans un jeu adéquat de circonstances peut devenir dangereuse”. Ce sort tragique, les scénaristes de Peaky Blinders semblent jusqu’au bout le réserver à l’impeccable casting de seconds couteaux. Et cet écueil narratif mis à part, impossible de ne pas saluer dans ces nouvelles péripéties du clan Shelby une puissance, un rythme et un souffle qui confirme du show star de la BBC son statut de bien belle machine de guerre.