« Tu as réinventé ma définition de l’art », s’enthousiasme la jeune femme. Elle semblait pourtant à peine attentive alors que, sur la scène de ce petit club de jazz de la Nouvelle-Orléans, notre personnage rondouillard aux grands yeux accompagnait un orchestre local en manipulant avec entrain son petit instrument à lui : un klaxon de clown. Le concert est un triomphe. On ne s’en étonne même pas car, dès ses premiers instants, Costume Quest 2 a mis les choses au clair : ces temps et lieux appartiennent au décalage gentiment burlesque, au gag tranquille, laid back, long en bouche et qu’on voit venir de loin mais qu’on apprécie d’autant plus. Quelle que soit notre définition de l’art.
Avant Costume Quest 2, il y eut en 2011 Costume Quest premier du nom, petit projet né de séances de brainstorming en équipes réduites au sein de Double Fine, le studio de Tim Schafer (Psychonauts, Brütal Legend). C’était un charmant jeu de rôle sur le thème d’Halloween dans lequel deux jumeaux partis faire le tour de leur quartier en quête de bonbons vivaient de folles aventures. Dans Costume Quest 2, c’est globalement la même chose mais avec, en plus, des voyages dans le temps. Un méchant dentiste veut y interdire Halloween rapport aux dégâts de type caries causés par les sucreries. Un ninja nous enseigne les bases du combat sur la pelouse d’un jardin du futur. Il y a des bonbons dans la quasi totalité des poubelles. Le klaxon du clown – encore lui – fait fuir les crocodiles. Et on se travestit, et chaque costume (le super-héros, le ptérodactyle, le sorcier…) offre des pouvoirs différents. On l’aura compris : tout ça est extrêmement sérieux.
Sérieux ? Oui, sérieux comme l’était Hitchcock quand il expliquait à Truffaut sa manière de concevoir un film se déroulant en Suisse – Secret Agent, en l’occurence. « Qu’est-ce qu’ils ont en Suisse ? s’était-il demandé. Ils ont le chocolat au lait, ils ont les Alpes, ils ont les danseurs folkloriques, ils ont les lacs et je savais que je devais nourrir le film d’éléments qui appartiendraient tous à la Suisse. » Il n’est pas impossible que les créateurs de Costume Quest 2 aient procédé de la même manière, se demandant « ce qu’ils ont » à la Nouvelle-Orléans (dont on arpente allègrement le bayou), ce que les enfants font à Halloween, ce qui est associé à tel ou tel archétype de la culture pop dont ils pourraient faire un costume, un décor, un masque… Toute piste, toute idée, même la plus absurde, mérite d’être creusée, ou bien déterrée, étirée, encadrée. La logique (d’écriture, de conception d’univers) a toujours bien fonctionné dans le point & click d’où vient Schafer. Elle se révèle au moins aussi fructueuse dans un jeu de rôle light comme Costume Quest 2 dont le grand dessein est visiblement, via son monde d’enfants aventureux, d’exalter la fantaisie du quotidien. Celle qui y sommeille, en tout cas, et qui ne demande qu’à s’éveiller. Avec un petit effort, les yeux bien ouverts, les oreilles idem, l’esprit en balade.
Les influences de Costume Quest 2 se reconnaissent sans mal. Il y a d’abord Earthbound, le génial RPG de Shigesato Itoi. Il y a peut-être aussi la malicieuse saga Mario & Luigi, au moins pour les combats (au tour par tour, mais dynamiques) où le sens du tempo est primordial. Il y beaucoup de jeux de rôle, évidemment. Mais l’influence importe moins que l’inspiration, l’élan, l’appropriation ludique d’à peu près tout et, éventuellement, de n’importe quoi. Tiens, ça pourrait bien être une définition réinventée de l’art, ça.