Le premier film de Philippe Grandrieux, Sombre, a fait jaser. On n’a pas trop compris sa violence, sa noirceur, mais aussi son évidente mise en abyme -c’est pour une fois le cas de le dire- du bonheur. Cette quête désespérée qui s’inscrit dans chacune des scènes du film, dans l’inconscient même du désir brutal et de la mort archi-présents, n’était pas facile à habiller d’une trame sonore. Il fallait que Grandrieux trouve un concept ou quelqu’un qui puisse correspondre à ces sentiments si forts qu’il voulait faire passer. Et ce quelqu’un, Grandrieux se trouva face à lui ou presque, un jour de printemps de l’année dernière. Assistant à Londres aux deux concerts exceptionnels de Suicide reformé en l’honneur d’une réédition mythique, celle de son premier album, Suicide justement.
Alan Vega sera ce metteur en son, cet être au passé assez costaud en expériences troubles pour pouvoir se coltiner aux images dérangeantes de Grandrieux. Le résultat est glaçant de précision, et devrait sans nul doute donner à nouveau le frisson -plaisir/horreur- à ceux qui ont vu le film. Que les autres ne se détournent pas pour autant de cette musique créée par Vega, c’est l’occasion de retrouver le maître en grand forme, capable d’une certaine forme de sobriété qui donne aux huit morceaux façonnés pour le film une force inquiétante. Sans doute encore sous l’influence des machines polaires de ses nouveaux amis Pan Sonic, Alan Vega attaque le sampler au pic à glace pour lui faire cracher ses dernières boucles, des beats en phase terminale, des souffles au cœur sans espoir. Plaquant sur ces canevas sa voix extatique, il offre quelques moments rares, tels que Paradise vice, ou bien Hot nines, quand ce n’est pas la surprise de le retrouver -sur un morceau paru il y a trois ans- en compagnie de Ben Vaughn et Alex Chilton pour un blues suburbain, Fat city. Certes, cela ne rendra pas forcément votre souvenir de Sombre -le film- plus agréable, mais la fascination, elle, demeure.