En temps normal, quand on fait pivoter l’iPhone, la photo (ou le texte, la vidéo) tourne aussi pour s’adapter à notre regard. Pas chez Simogo, le studio suédois – c’est-à-dire le duo Simon Flesser – Magnus « Gordon » Gardebäck – responsable des fabuleux Year Walk et Device 6. Et désormais de The Sailor’s Dream, nouvel exemple sidérant de fiction interactive ne ressemblant à rien de connu. « Mais si, un peu à Myst, quand même, avec ces mécanismes bizarres et ces images à peu près fixes », rétorqueront peut-être certains. Oui, mais non. On y reviendra.
Dans The Sailor’s Dream, donc, c’est l’orientation de l’image qui nous oblige soudain à faire pivoter l’iPhone (ou l’iPad), et pas l’inverse, pour regarder autrement. L’image que l’on scrute en quête d’indices, d’éléments nous permettant d’y voir un peu plus clair dans cette histoire fragmentaire et embrumée de petite fille qui rêve et de marins. On en récolte les morceaux comme autant de trésor. Ce sont des objets, des textes (intégralement en anglais), des sons. Dans une bouteille qui flotte sur l’eau, on trouve une chanson, différente chaque jour. Des lieux, des choses se révèlent avec le temps, le jour, l’heure à laquelle on joue – le programme utilise l’horloge interne de l’iPhone. Comme dans Zelda : The Windwaker (mais pas vraiment), on regarde l’océan. Voilà un rocher, une statue, un mât de bateau coulé. Et des îles, un « Phare secret », des « Ruines lointaines », un « Cottage des sept chansons » que l’on explore successivement pour, sinon en percer le mystère, du moins découvrir ce qu’ils ont à nous « dire ». Ou même pas forcément : juste pour monter un escalier, descendre dans des catacombes et réaliser soudain qu’avec les doigts, là, en tirant des ficelles, en déplaçant des lumières, on fait de la musique. Et écouter cette musique. Et se sentir léger, et se croire habité. Seul, mais transporté, connecté.
Pour en arriver là, suppose-t-on, il faudra résoudre des énigmes. C’était le cas dans Year Walk, dans Device 6, et elles étaient d’ailleurs particulièrement subtiles. Mais il n’y a rien de tel – ou presque – dans The Sailor’s Dream, jeu tout entier dédié à la déambulation mentale. Et digitale, car Flessel et Gardebäck utilisent comme personne l’écran tactile, interface pensée à la fois comme une carte, une fenêtre, un cahier, un écrin, un tableau. On y navigue en mimant les déplacements du doigt, pour monter un escalier, aller vers un télescope brisé. Une direction à suivre absolument : « Luna Cupola ». Et puis « Orbery Tower », dans le « Sanctuaire céleste », pour lequel on a un gros faible.
Même quand les lieux sont séparés par des écrans noirs, l’opération est instinctive, naturelle, comme si on avait toujours fait ça. On n’en doute plus : l’iPhone a été conçu pour ça. Ce n’est donc pas du tout Myst parce que le seul puzzle à résoudre est intime, personnel, sensible et cérébral. Parce qu’il y a beaucoup de mots-clés mais aucun cadenas sur les portes. A nous d’assembler les bouts de sens, de sensations. Ou juste de les laisser flotter un peu pour voir ce que leur rapprochement produit. De s’y arrêter, de s’oublier un peu. Et de revenir plus tard.
The Sailor’s Dream est un livre d’images et un instrument de musique. Un collage d’histoires et une exposition d’art plastique – des marins, mais pas seulement. Une rêverie à partager et un guide de voyage dont les pages volettent, s’éparpillent. The Sailor’s Dream est un jeu vidéo. C’est formidable, les jeux vidéo.