Plowing Into The Field Of Love permet de réfléchir autant sur le rôle du troisième opus dans la discographie d’un groupe que sur l’importance du pacte narratif dans l’écoute d’un disque. Les danois d’Iceage, quatuor post punk (ou pose punk) de Copenhague, se donnent les moyens de passer un palier, un an seulement après la sortie (déjà chez Matador) d’un You’re Nothing particulièrement bien accueilli par la critique. Ce troisième disque, donc, intègre cuivres et cordes pour exploiter plus largement le champ des possibles et servir des textes et des intentions globalement sombres, traitant de thèmes chers à la jeunesse (l’amour, moi, ma relation avec mon papa, moi, ma place dans l’univers, moi, je n’aime pas que l’on me juge, etc.).

 

 

Il convient d’admettre qu’un disque est une création artistique. Le talent réside-t-il dans le fait de décrire ce que l’on voit ou ce que l’on imagine ? Restituer le vécu est-il plus noble que l’imaginer ? Ainsi, le côté forcé du chant, accentué par une production insistant sur les fins de souffle et les inspirations rauques, peut déplaire, éventuellement horripiler, mais rappelle somme toute les tics d’expression d’un acteur. L’imitation de la sincérité suffit à émouvoir donc, mais ne permet pas d’établir un lien avec Joy Division, n’est pas Ian Curtis qui veut. Les compositions d’Iceage sont néanmoins solides et la qualité d’écriture des morceaux indiscutable. La thématique narrative, dramatisée et volontiers dark de Plowing Into The Field Of Love sert de trait d’union à un ensemble hétérogène, parfois proche du catalogue. L’ensemble n’est pas linéaire, loin de là, mais l’auditeur intéressé par l’unité n’est pas décontenancé. Le morceau d’ouverture, asymétrique, attire l’attention, la dynamique country du sympathique « The Lord’s Favourite » fait penser à Johnny Knoxville. On entre finalement dans le vif du sujet avec « How Many » (encadré par un placement très fin du piano) et « Glassy Eyed, Dormant And Veiled ». Les rythmes varient, la batterie s’avance, Iceage supplie, se lamente, oscille entre fataliste résignation et colère. L’album oppose des temps forts (comme « Stay ») à des pièces moins réussies (« Abundant Living » ou « Cimmerian Shade ») et propose des morceaux aux structures plus conventionnelles et finalement plus sages (« Let It Vanish », « Forever », « Simony » ou l’éponyme et décevant « Plowing Into The Field Of Love »).

 

 

Plowing Into The Field Of Love réussit admirablement à capturer l’intensité des prestations scéniques d’Elias Bender Rønnenfelt, mais l’omniprésence de son chant et sa mise en avant (presque) excessive divise. Le jugement de tout chant non neutre est chose éminemment subjective. Pour certains, celui de Bender Rønnenfelt est inspiré ou habité. D’autres considèreront plus prosaïquement qu’il chante faux et surjoue. Il est de toute façon impossible d’en faire abstraction, aussi les sceptiques s’opposeront-ils irrémédiablement aux convaincus. De l’écoute du disque naissent une certitude (l’orchestration est au service d’un chant théâtral) et une interrogation : passé la bonne surprise, peut-on écouter Plowing Into The Field Of Love plusieurs fois avec intérêt et plaisir ? La première écoute du disque est probablement la meilleure.

Photo par Ren Burress