Oublions l’avance de 3.7 millions de dollars que Lena Dunham a reçu pour écrire ces mémoires devenues un événement littéraire avant même que l’encre du contrat ne sèche. Passons sur la guéguerre puérile où les pro-Dunham accusent les anti-Lena de détester les femmes dès qu’ils disent du mal de cette one woman army de 28 ans : actrice, scénariste, showrunneuse, réalisatrice et désormais écrivaine accomplie. Lena Dunham n’est pas la « voix d’une génération » que certains média en mal d’égérie veulent nous vendre à tout prix. Not That Kind Of Girl confirme par contre qu’elle est une vraie voix – parmi d’autres – de sa génération. Une voix importante.
Divisé en plusieurs sections (le sexe, les copines, le corps, la mort, le travail, etc), l’ouvrage est une suite d’essais dans lesquels Dunham fait du Dunham. C’est à dire qu’elle parle d’elle, s’auto-analyse avec pas mal de recul et in fine transforme le matériau brut de ses expériences et de son intimité en quelque chose de plus pertinent et apte à toucher ses contemporains. Fidèle à elle-même, Dunham peut être très drôle (le chapitre sur les mails qu’elle n’a jamais envoyé ou ses diverses listes sont savoureux) jusque dans le malaise (le début du livre raconte ses déboires sexuels), incisive lorsqu’elle s’attaque à Hollywood et la façon dont l’industrie vampirise les femmes qui y travaillent en les comparant au cellophane protégeant les gobelets en plastique d’un hôtel « pratique mais ô combien jetable », touchante quand le chapitre suivant évoque son enfance et capable de nous perdre complètement quand dix pages du livre sont consacrées à la liste exhaustive de ce qu’elle mangeait lors de son dernier régime. Le programme peut sembler indigeste (il ne se gène d’ailleurs pas pour l’être), mais reste du pur Lena Dunham et il est impossible de lire le livre sans visualiser les personnages ou l’univers de Girls à chaque chapitre.
Consciente des critiques qui lui sont adressées, toujours prête à les entendre et à en débattre, Dunham prend à bras le corps le sujet de son pseudo exhibitionnisme. Entre les lignes, elle fait comprendre au lecteur qu’elle ne cherche pas une quelconque validation externe, mais ne fait que pousser à son paroxysme sa démarche de mise à nu artistique, qu’elle soit physique ou psychologique. Sans entrer ouvertement dans le combat contre le diktat du corps parfait survendu par les médias, elle reste intègre et affirme ne servir que son histoire : tourner nue devant toute son équipe est déjà assez difficile, pas la peine d’en rajouter. Dunham oblige, l’attitude reste celle du petit soldat volontaire et risque tout malgré la peur paralysante tandis que l’humour décape. Qui ne voulait pas savoir qu’il est de bon ton d’être bronzé pour tourner une scène de sexe mais que c’est moins évident quand on souffre de diarrhée ?
Apte à se remettre en question et à ne rien s’épargner, Lena Dunham raconte lors d’un chapitre aux allures de mauvaise blague à la chute douteuse qu’elle a été violée à la fac par un « jeune républicain moustachu ». Au départ, elle ne se rend pas compte de ce qu’il s’est passé. Elle explique clairement que le déni est la solution de repli la plus évidente, surtout à cet âge où l’on est tout puissant et où rien ne peut nous arriver. Elle préfère en rire et ne pas être « cette fille là ». C’est seulement des années plus tard, dans la writers room de Girls, décrite comme un confessionnal pour son équipe d’auteurs, qu’elle a réalisé avoir été violée quand elle a pitché sa mésaventure à ses collègues qui ont farouchement opposé leur veto à cette storyline tout en la soutenant moralement. Outre la force de ce chapitre, cela en dit long sur la personnalité et le travail de Lena Dunham et sa capacité à se réfréner pour ne pas aller trop loin.
Pure incursion dans le maëlstrom intime de Lena Dunham sans les garde-fous que peuvent être les autres auteurs de Girls ou ses producteurs, Not That Kind Of Girl est incontournable pour qui s’intéresse à son travail et une pierre de plus dans l’oeuvre de l’auteure. Si certains passages ressemblent franchement à des arches scénaristiques qui n’auraient pas été retenues pour Girls (la mort du premier petit ami virtuel rencontré sur le net), d’autres renvoient instantanément à des scènes de la série ou à son film Tiny Furniture. Dès lors et sans être un making of balourd de sa série ou de son film, le livre gagne en intérêt et permet de mieux comprendre le processus d’écriture de l’auteure dans sa façon, subtile et minimaliste, de dramatiser ce qui relève de l’anecdote ou rendre anecdotique, et immensément plus efficace en le chargeant de sens, ce qui aurait pu devenir un pensum retranscrit tel quel à l’écran (son expérience de vendeuse dans un magasin de vêtements pour enfants décrite sur une dizaine de pages, résumée en quelques plans dans la saison 3 de Girls).
Qu’elle s’appelle Hannah Torvadt dans Girls ou Aura dans Tiny Furniture, Not That Kind Of Girl confirme que Lena reste Lena. Quel que soit le personnage qu’elle joue, il n’est qu’une variation de Dunham sur elle-même, une variation très fine et ajustée au millimètre pour servir les histoires qu’elle a à raconter. Si le procédé pourrait s’avérer lassant quand Lena Dunham aura fait le tour de son sujet, il est pour l’instant l’incarnation éclatante du conseil donné, parfois à mauvais escient, aux jeunes auteurs consistant à les encourager à écrire sur ce qu’ils connaissent. Et quand quelqu’un d’aussi jeune se connaît aussi bien, parvient à autant s’aimer malgré ses complexes et insécurités (quitte à énerver) et sublime l’auto-fiction à ce point, il serait bien dommage de ne pas prêter l’oreille à ce qu’elle raconte.