C’est au croisement d’une interdiction aux moins de 18 ans et d’une jaquette René Château que Massacre à la tronçonneuse dut en France sa notoriété. Passé entretemps de l’index des vidéoclubs aux bibliothèques des universités, objet devenu suffisamment « sérieux » depuis pour offrir toutes les prises, le film aura cependant attendu longtemps avant d’apparaître enfin pour ce qu’il n’a jamais cessé d’être : une comédie familiale.
Tout matriciel qu’il soit, Massacre à la tronçonneuse n’en est pas moins fortement nourri d’un évident prédécesseur. Il faut y voir, sans doute, un remake comique de Psychose, ou plus précisément un Psychose offert du point de vue de la mère empaillée, plus précisément encore du point de vue de son rire. Si Hooper, à l’exemple d’Hitchcock, laisse au montage la fonction du couteau, de même il prolonge par le son le calvaire enduré. Aux stridences de Bernard Herrmann, il substitue une symphonie de métaux frottés, de hurlement motorisés, qui opposent à la nature sauvage d’un Texas littéralement filmé à l’os, le son privé d’images des machines désirantes, qui depuis le fond de la nuit disent assez que la mort aussi a fait sa révolution industrielle.
Car dans Massacre, l’horreur s’écoute. Les cris se mêlent au rires, la terreur à la joie. Remake comique donc. Non plus seulement la mère mais la famille au grand complet, au sommet de quoi trône un aïeul semblablement momifié. De quelle momie s’agit-il ? Et dans quel tombeau sommes-nous ? Il n’aura échappé à personne que nous sommes en Amérique, avec le Texas comme centre politique. Famille dégénérée à force d’autarcie et conséquemment, de consanguinité. Conserver l’aïeul(e), dans les deux films, revient donc à s’enfermer soi-même, à faire de sa maison un mausolée. De la conservation au conservatisme, Hooper franchit le pas avec l’allégresse de Leatherface dansant sous le soleil, il s’agit bien d’une fête. On est au carnaval, mais alors affublé d’un masque de peau humaine, et l’horreur ne renvoie qu’à elle-même. Peu de films en vérité auront à ce point su montrer le Mal en son cœur, en sa joie simple et brutale, délestée de toute rigueur morale. Ici l’on chasse tout ce qui n’est pas nous au seul bénéfice d’un barbecue réussi, pour le plaisir de se retrouver ensemble à la nuit tombée. L’horreur n’a de mesure que celle du bonheur familial.
S’il faut revenir sur ce que le film a de plus drôle, c’est tout de même au papi décati qu’il convient aujourd’hui de rendre hommage. Hooper le met au centre de la table, toute la famille autour, et organise progressivement la scène autour d’un seul motif. Non pas l’horreur elle-même mais ce qui la regarde, l’œil de Sally Hardesty, seule survivante du carnage. De Bataille à Buñuel en passant par Hitchcock, il est le motif central par quoi se regarde le spectateur, le lieu de l’horreur réfléchie. Son agrandissement devant la mort annoncée finit par constituer un vortex où toute la puissance comique de la scène est aspirée, comme dans la bonde de Psychose. C’est pourquoi peut-être, malgré son statut évidemment référentiel, elle est sans doute la plus forte du film, celle qui dit le mieux la nouveauté qu’offrait alors Massacre à la tronçonneuse. Le rire et l’horreur s’y mélangent comme jamais auparavant, tournent ensemble dans une danse frénétique qui n’oublie pas que le rire définitif reste celui du crâne, et renvoie jusqu’à la peur au rang des vanités. Quand le Diable se moque, c’est qu’il a déjà gagné.