Après le Congo, les conquistadors ou la Grande Guerre, Éric Vuillard continue sa relecture de l’Histoire avec la figure de Buffalo Bill. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, l’Amérique a fini de liquider ses reliques précolombiennes, et les transforme en objets de musée ou de spectacle. William Cody, alias Buffalo Bill, lance ainsi le Wild West Show, un immense spectacle itinérant qui retrace la conquête de l’Ouest, avec de vrais Indiens, et même Sitting Bull vaincu en personne, dans des décors pharaoniques. Ce spectacle, qui traversera d’ailleurs l’Atlantique, se jouera durant plusieurs décennies, avec un succès totalement inédit : un spectacle légendaire fabriquant une légende.
Mais ce n’est pas le premier degré des faits qui intéresse Vuillard, lequel procède un peu à la façon de W.G. Sebald, en archéologue de la mémoire – développant des méditations, semant dans le texte des photographies d’époque qui font fonction d’icônes profanes, ressuscitant des êtres et des scènes à travers une langue subtile, intime, envoûtante, et conservant finalement l’œil du moraliste sur cette chair rendue à la vie. Le Wild West Show inaugure selon lui l’ère de l’entertainment de masse, fonde un certain mythe de l’Amérique et change les vaincus en figurants, falsifiant ainsi leur propre drame. Éric Vuillard offre à cette falsification le contrechamp de la littérature, sa compassion supérieure et sa vérité, à la fois plus profonde et plus mélancolique. Sans doute l’Histoire oscille-t-elle entre courtes tragédies et éternelle comédie, mais certains romans parviennent à opérer superbement la jonction.