En 2013, Marseille a été le terrain de jeu de 55 tournages de séries, contre 36 en 2012, soit une augmentation de 52% en un an. «On est en plein essor», affirme Séréna Zouaghi, conseillère municipale de Marseille, déléguée à la Mission Cinéma. Mais de quelles séries parle-t-on ? L’incontournable Plus belle la vie évidemment, qui truste plus de la moitié des espaces du Pôle média de la Belle de mai depuis sa création en 2004. Mais aussi de No Limit, comédie d’action avec Vincent Elbaz, et produite par EuropaCorp Télévision. Le groupe France Télévisions est aussi très présent avec des choses comme Caïn, Enquêtes réservées, Le passager (polar avec Jean-Hugues Anglade à venir en 2015) et plusieurs unitaires tournés chaque année. Le dénominateur commun à toutes ces productions est assez évident : il s’agit de séries créées pour plaire au plus grand nombre. Du polar, de l’action ou du soap. Les blockbusters télé que sont Plus belle la vie et No Limit ont trouvé un terrain propice à leur épanouissement, à commencer par une structure d’accueil très au point. «On a mis en place plusieurs choses pour attirer les productions à Marseille, comme la Mission Cinéma, explique Séréna Zouaghi. Une équipe d’employés de la Mairie est dédiée à faciliter leur accueil. On aide par exemple au pré-repérage des sites de tournage, à la délivrance des autorisations de tournage, à accueillir leur casting.» Au Pôle média de la Belle de Mai, les productions disposent de quatre plateaux de tournage pour une surface totale de 2750m2, mais ça ne suffit déjà plus. La Mairie a lancé un appel à projet pour faire émerger un second Pôle média, tandis que Telfrance (société de production de Plus belle la vie), va y installer en 2015 un studio d’effets spéciaux. Autant dire que Netflix arrive au bon moment.
Lumière !
Si elle souffre d’une réputation sulfureuse, Marseille renvoie aussi l’image d’une ville lumineuse, cosmopolite et populaire, dont bon nombre de fictions françaises se sont entichées au cours des dix dernières années. Du Vieux Port à Notre Dame de la Garde en passant par le Panier, les lieux emblématiques de la ville sont désormais connus d’un public attiré par l’authenticité de cette ville-monde, bordée par la Méditerranée. «Sur No Limit, on avait envie des décors et de la lumière du Sud de la France, témoigne Thomas Anargyros, directeur de EuropaCorp Télévision. C’était un choix artistique. Marseille est une ville très cinématographique. Il y a une forme d’évidence à la choisir pour tourner des séries. La lumière, l’ouverture sur la Méditerranée, le mélange de population d’Europe, d’Afrique font qu’elle est passionnante à filmer. Elle possède un visuel très fort.» La France étant un pays au patrimoine très riche, les décors naturels jouent un rôle bien plus important qu’on ne peut le croire dans le succès d’une série française. Et les Français aiment Marseille : « Dans les études faites par TF1 auprès des téléspectateurs, l’originalité de Marseille apparaît comme un plus. » confie Mr. Anargyros.
Bien que pour des raisons de coût, une large partie des séquences de Plus Belle La Vie soit tournée en studio, près d’un tiers est enregistré en décor naturel, laissant la part belle à la lumière et aux paysages méridionaux. Le soap de France 3 est parvenu, non sans un certain succès, à capitaliser sur ces images de carte postale, qui ont forgé son identité et facilité son exportation. Pour Philippe Pujol, journaliste spécialiste de la ville de Marseille, Plus belle la vie met en scène principalement «des noyaux villageois marseillais», et évoque « un Marseille populaire qui existe vraiment». Un choix payant : plus de dix pays diffusent Plus Belle La Vie aujourd’hui à l’étranger. Les aventures des habitants du quartier du Mistral (inspiré de celui du Panier, le plus ancien de la ville) ont également conquis le public hexagonal. L’attrait des téléspectateurs pour la Côte d’Azur n’est pas nouveau. TF1 avait en son temps réalisé un coup de maître avec Sous le Soleil, vendant le programme dans plus d’une centaine de pays. Moins glamour que St-Tropez, Marseille et sa cohorte de trafics et de truands sont source d’inspiration, et séduisent des scénaristes et producteurs de plus en plus nombreux.
Une valeur sûre
Netflix ne déroge pas à la règle : courageux mais pas téméraire, le géant américain a misé sur une valeur plus que sûre avec Marseille, sa première production française, une série politique «transgressive» qui règle ses pas sur ceux de Frank Underwood, le héros sanguinaire de House of Cards. Reed Hastings a déjà conquis une cinquantaine de pays et pas moins de 50 millions de téléspectateurs (dont 35 millions sur le sol américain) et compte bien poursuivre sur sa lancée. La création de la série originale française ne se limite donc pas au public hexagonal. Ceci explique et justifie les décisions qui ont présidé au choix de Marseille, de son auteur et de son producteur. Netflix a fait appel à Dan Franck, le scénariste chevronné de Carlos, mini-série de Canal+ réalisée par Olivier Assayas, et auréolée des prix les plus prestigieux (Golden Globe de la meilleure mini-série en 2011). L’homme est aussi un vrai showrunner, ce qui n’est pas un moindre atout. Créateur de la série politique Les Hommes de l’ombre, Dan Franck était aussi à la tête de la mini-série Résistance, diffusée cette année sur TF1. Il endossera ce rôle avec Marseille, pour laquelle il a été consulté, du choix du casting aux réalisateurs. Quant au producteur élu, Pascal Breton, il a prouvé par le passé qu’il savait offrir une destinée interplanétaire à ses séries, au premier chef desquelles… Sous le soleil !
Marseille, la Baltimore française
C’est un peu là que le bât blesse du côté des sériphiles, qui ont accueilli l’annonce de Netflix plutôt fraîchement. Le producteur de Sous le soleil aux commandes d’un House of Cards marseillais ? A force de vouloir ratisser large et de séduire les Français et l’international, Netflix va-t-elle produire une série fadasse qui serait le reflet cruel de l’écrasante majorité de la production française actuelle ? Philippe Pujol, interviewé longuement dans le numéro 10 de Chronic’Art, n’y croit pas une seconde : «Marseille, c’est de la politique de village. Faire du House of Cards dans une politique de village, c’est une blague». Pour Thomas Anargynos, Marseille apparaît comme «un bon choix pour un thriller politique, surtout quand on regarde les dernières élections municipales. Il y a quelque chose d’exacerbé». Marseille, ville-monde où règne le clientélisme méditerranéen et la corruption. Où la criminalité a quelque chose de cinématographique avec ses gangs armés de kalachnikovs, ses règlements de compte glaçants à la sortie des écoles, ses braquages en pleine journée dans la rue commerciale la plus fréquentée de la ville. Au-delà des jolis quartiers de carte postale, Marseille c’est aussi ses quartiers Nord, no man’s land aux mains des criminels, lieu de trafics en tous genres. Alors évidemment, cette ville possède un terreau génial pour une série à la The Wire, qui ausculterait avec minutie et réalisme tous les rouages de son fonctionnement. Reste à savoir comme Dan Franck va utiliser l’espace de liberté totale dont il dit bénéficier avec Netflix. Avec une série intitulée «Marseille», autant dire qu’il est attendu au tournant.
A lire aussi : les interviews de Dan Franck et Philippe Pujol dans le dernier numéro de Chronic’Art en kiosques actuellement (#9).
Par Marion Olité et Louise Riousse