« Ce jeu est une expérience narrative qui ne vous prend pas par la main ». Dès son incipit, The Vanishing of Ethan Carter fait peser tout le poids de son ambition dans un avertissement sur fond noir qui n’est pas sans rappeler le solennel « L’histoire est forgée par vos décisions » des jeux Telltale. Après Dear Esther, The Walking Dead ou Gone Home, The Astronauts font donc à leur tour savoir qu’ils ne sont pas là pour divertir, plus maintenant. Ils veulent eux aussi créer du sens, marquer les esprits. A des lieues de ce que produit le clown à gros budget Epic, leur ancien employeur.
Avec ses fragrances de refuge bucolique aux allures de chalet automnal pour touristes, Ethan Carter est donc leur antithèse du AAA. Sans doute Adrian Chmierlarz – réalisateur – a-t-il eu l’idée de coupler surnaturel et champêtre en se remémorant ces temps maussades, enfermé dans sa chambre, décortiquant les classiques de la littérature. Pénétré par les romans fantastiques du siècle dernier, bercé par les idylliques paysages vallonnant des fjords, Ethan Carter réunit les ingrédients de base de la nouvelle dérangeante et torturée. Pour finir par se torpiller au nom du minimalisme arty.
Dans sa quête d’intimisme – mélo et drame sur l’enfance à la clé –, Ethan Carter systématise, un peu paresseusement d’ailleurs, l’équivalence entre moins et mieux. Résultat : quelques harmonies fonctionnent, le reste du temps le vide s’impose. Complètement laissé à l’abandon, sans objectif clair, le joueur est forcé de tâtonner pour s’imprégner. Alors de mur invisible en mur invisible, on se heurte à la vacuité de Ethan Carter. Les immenses bois que l’on anticipait en terrain de jeu oppressant ne sont qu’ornements tristement inanimés, façon fond d’écran Windows. Esthétique impeccable oui, mais présence lamentable, desservie par une galerie de bruitages aussi cheap que grotesques. La mort, l’inquiétude, la folie, que l’on nous fait croire si proches dans la trame, ne nous effleurent même pas tant elles se complaisent dans un silence gênant. Jusqu’à ce que le développeur, visiblement embarrassé par le manque d’atmosphère de son titre, se résigne à employer des jump-scares des bas-fonds. Syndrome de la coquille vide.
Puis, au détour d’une énigme un peu complexe, on se stupéfait de ne pas disposer d’un simple inventaire. The Astronauts – par arrogance ? – ne s’embarrassent pas de l’interfaçage du jeu vidéo. A leurs dépens. Car l’abstraction des mécaniques n’est pas à propos en toutes circonstances. In fine, chaque tentative avortée du joueur d’accéder à une feature communément admise dans le jeu vidéo participera d’un effilochage du gameplay jusqu’à sa racine, archaïque, donc obsolète. Il s’agira de se battre pour trouver le moindre petit item dans une forêt vierge, jouer contre l’intuition, se perdre mille et une fois et cumuler quelques allers-retours… Même lorsqu’il brasse généreusement ses influences, Ethan Carter tourne à vide et ne fait qu’entasser là – littéralement dans le jeu –, avec une banalité confondante, les Jules Verne, Lovecraft et autres King, tandis qu’il rêve de s’imposer comme référence.
Pourtant, il y avait tant à faire. Dans ce récit sur l’évasion et le prisme déformant de l’enfance sur le monde adulte, la solitude, le gigantisme et la fertilité passent étrangement à la trappe. On croit – on espère – découvrir le jeune Ethan, quand en réalité on se confronte à une totale insensibilité née du vide affectif et des fils apparents. Reste la dépression automnale, trêve esthétique vaine, statique, déprimante, venteuse et éphémère.