Voilà une journée dont on se serait bien passé. Se lever pour écrire un texte en demi-teinte sur le nouvel album de Doctor John, franchement… D’autant qu’on éprouve pas mal de difficultés à cerner ce qui cloche dans ce disque qui sonne si bien sur certains morceaux. Sur le papier, le projet a des allures de costume crème taillé sur mesure : Doctor John, pianiste légendaire de La Nouvelle-Orléans, auteur de disques décisifs et, mieux encore, créateur d’un SON et d’un RYTHME, reprend les standards (et les obscurs) de Duke Ellington. God, quelle affiche… Un instant, je cire mes mocassins bi-tons et je cours acheter l’album. Surtout que Doctor John a pris le parti de l’adaptation funk, l’exact contraire du colossal As time goes by de Bryan Ferry, chef-d’œuvre de classicisme jazz années 30, sublime disque hivernal. Le Doc, lui, annoncerait plutôt le printemps. Quand il s’attarde sur I’m gonna fishin’, l’affaire devient franchement groovy et, pour tout dire, assez imparable. Les arrangements extrêmement soignés, les plages d’orgue Hammond jouissives (on est quand même chez Doctor John), conjugués aux mélodies de Satin Doll ou Perdido, tout ici n’est que luxe, calme et volupté. Sur le superbe Don’t get around much anymore, on jurerait l’un de ces beaux albums californiens signés Boz Scaggs.
Alors, pourquoi se compliquer la vie si le soleil est si haut ? Parce que, quand certains morceaux s’étirent en long jam comme Thing’s ain’t what they used to be, on se surprend à rêver de la chanson suivante. Parce que, sur plusieurs titres, le son de basse slappée est passible du tribunal de La Haye. Parce qu’il se dégage ce drôle de sentiment de « disque adulte et contrôlé », si rare chez Doctor John. Cette impression de roue libre, un peu désagréable, celle qui traverse parfois le dernier album d’Iggy Pop, curieux mélange de maîtrise et de paresse, que l’on nomme souvent « maturité » dans Les Inrockuptibles.
Au finish, ce disque ne revient pas souvent sur la platine. Et finalement, ce n’est pas la faute du bon docteur ; plutôt de la nôtre. On était venu avec le son terrifiant de Gris-Gris (1968) en tête, le groove de son album In the right place (1973), la noirceur vaudou des excitantes Nashville sessions 1974 ou encore la finesse d’Anutha zone (1998) dans les oreilles. Doctor John avait simplement envie d’un exercice de funk soyeux, décontracté. Mauvais timing, wrong place, wrong time, et partie remise. Sans doute pour la future tournée…