Après une première compilation sous-titrée « African Electronic Music 1976-1982 », le label parisien et chercheur Born Bad Records réédite onze classiques du musicien Francis Bebey, poète, écrivain, journaliste, musicien, sorte d’équivalent camerounais du nigerian William Onyeabor, cette fois-ci dans une perspective moins crossover (pas ou très peu d’instruments électroniques ici, et pas de chansons humoristiques comme Agatha ou La condition masculine, qui ont fait son succès), plus proche des racines musicales du pionnier africain de la musique électronique des années 70. Dans une tonalité plus mélancolique, parfois sombre, parfois dansante (comme le Bissau récemment remixé par Pilooski) « Psychedelic Sanza 1982-1984 » privilégie en effet le chant en langue locale (quand 60% des camerounais sont francophones), les polyphonies et polyrythmies des pygmées des forêts voisines et les instruments traditionnels comme la flûte pygmée, l’arc à bouche, la harpe, les percussions ou, donc, la sanza (un lamellophone à pouce, proche de la kalimba).
Selon le fils du musicien, Patrick Bebey, « Jouer de la sanza, c’est rencontrer un univers qui te transporte de manière très zen et envoûtante. Les sonorités m’évoquent un arc-en-ciel, avec la pluie en même temps que le soleil. Quelque chose de très paisible. C’est vraiment un instrument qui permet de jouer la vie. Notre père aimait raconter l’une des légendes de la sanza : l’instrument qui réussit à anéantir l’ennui que ressent… le Créateur lui-même ! ». En effet, les progressions rythmiques des lamelles métalliques (légèrement amplifiées semble-t-il), associées au chant rauque de Bebey, aux lignes de basses afro-beat, aux thèmes répétitifs des flûtes, et aux multiples percussions en stéréo, le tout enregistré sans fioritures, mais dans des échos et réverbérations naturelles, donnent un vrai tournis et provoquent l’attention comme sous l’effet d’une herbe forte qui amplifieraient les détails. Le terme « psychedelic » associé ici à cette musique tient donc moins de l’accroche marketing pour occidentaux que d’une réalité prégnante dans la musique elle-même, élémentaire musique des bois, des forêts, des rivières et de leurs habitants. La très belle pochette de l’artiste belge Elzo Durt (en expo jusqu’au 14 novembre à la galerie 12 Mail à Paris) complète le tableau : cette musique et ceux qui la jouaient ont porté le monde sur leurs épaules.