Emiliana Torrini persistera-t-elle à nous faire le même effet que lorsque nous avions découvert Fiona Apple, Kristin Hersh (sur son premier album solo en acoustique), Tori Amos ou, en remontant plus loin, Kate Bush ou Carly Simon ? On en oublie sûrement, mais celles-là sont déjà de bonnes références pour illustrer une personnalité jouant entre charme craquant, innocence désarmante et maturité, sans que nous sachions vraiment laquelle de ces caractéristiques l’emporte sur les autres. La voix reste enfantine mais la rigueur et la force du propos éloignent le personnage de l’innocence où on voudrait bien la confiner. Car la demoiselle n’a que 21 ans (contre 18 quand s’est faite connaître Fiona ou 19 pour Kate). Autant dire qu’elle devrait être au sortir de l’enfance.
Pourtant elle nous dit, dans ce qui est pour nous le chef-d’œuvre absolu de cet album, Dead things : « Bad things have to happen, sometime… » avec une voix désenchantée qui en dit long. Qu’a-t-elle donc vécu de si dur pour dire ces choses-là ? Elle paraît pourtant avoir eu une vie plutôt banale. Un père italien chef itinérant qui voyage à travers l’Europe, une mère islandaise et la petite qui suit les périples en Allemagne, au Danemark, en Italie et en Islande où elle côtoie des personnages haut en couleur dans sa famille.
C’est sans doute avec ces voyages qu’elle a acquis cette maturité et qu’elle peut nous conter toutes ces histoires terribles. La musique semble plutôt lui venir par une voie plus détournée. Elle déclare n’avoir eu que peu d’atomes crochus avec « la pitoyable variété italienne qu’écoutait [son] père tandis que [sa] mère se délectait du son de l’aspirateur » (sic), mais il y avait aussi « les sombres comptines d’Europe du Nord (« No one can explain baby blue is gonna die » dans Baby blue) et les dramatiques chants napolitains ». Nous voilà rassurés !
C’est peut-être la raison pour laquelle elle a fait appel à quelques vétérans de la composition pop lyrique. On retrouve ainsi un ancien de Tears for Fears (Roland Orzabal, qu’on « entend » peut-être un peu trop sur Baby blue) toujours aussi fin pour les arrangements et aussi précis dans la production. Certains titres sont co-signés par Eg White (du duo Eg & Alice) et sur Telepathy, on reconnaît la patte de l’Islandais Siggy Baldursson qui accompagne la jeune beauté sur scène et n’était autre qu’un membre des défunts rigolos de Sugarcubes.
Et c’est là qu’on peut insister sur le rapprochement de l’Italo-Islandaise avec la reine des glaces du grand nord, Björk. La tentation est trop forte puisqu’elles sont sur le même label, ont toutes deux une voix qui monte dans les aiguës et que les deux derniers morceaux de Love in the time of science nous renvoient aux ballades glacées qui ornent régulièrement les albums de la merveille de Reykjavik. On arrêtera là la comparaison pour ne pas effaroucher le lecteur. Emiliana Torrini n’a pas besoin de ce rapprochement pour se donner de la constance. Elle a bien assez de personnalité pour ça.