Ray Donovan est un cadeau. Son problème, pendant la majeure partie de sa première saison, était sa fragilité. C’est sans doute pour cela qu’il était emballé dans de nombreuses couches de papier cadeau, comme autant de mystères entourant les personnages et les intrigues qui se dévoilaient avec parcimonie. Reste l’excitation qu’on ressent en retirant ces couches successives … Peut-être la dernière ? Celle qui permettrait enfin de se prononcer sur la série et d’en parler de façon définitive – pas seulement sur les bonnes (acting, mise en scène et caractérisation des personnages d’une finesse rares) et mauvaises impressions (la partie polar souvent trop balisée et caricaturale) qu’elle suscite.
Une fois déballé, Ray Donovan s’est révélée être un diamant noir aux mille et une facettes reflétant au moins autant de questionnements sur la masculinité – le véritable sujet de la série-, ses développements aussi divers que variés (de sa construction à sa déconstruction en passant par sa reconstruction) et leurs conséquences. En scrutant un groupe d’hommes à divers stades de la vie, de l’adolescent pubère au petit vieux qui compte bien profiter de l’existence en passant par des hommes dans la force de l’âge, tous meurtris dans leur chair et dans leurs âmes, Ray Donovan, sous ses atours de polar d’une noirceur infinie, est une étude de caractères parmi les plus ambitieuses qui soient. Malgré les grosses baraques, les grosses voitures, les grosses liasses de billets et les gros calibres, les hommes peuplant l’univers de la série ne sont que fêlures, comme si le gangsta rap le plus vindicatif s’était soudain mis au blues.
Portant leur blessures sur eux comme un CV émotionnel ou tentant de les enfouir au plus profond de leur psyché, le résultat est le même : la bête en eux rugit et ne demande qu’à être lâchée. Bunchy Donovan, molesté par un prêtre durant son enfance, tente de combattre son anorexie sexuelle en nouant une relation avec une jeune mère célibataire. Son père Mickey (Jon Voight, toujours aussi déchaîné) a des envies de richesse rapide, dans le cinéma ou dans le crime, mais il est constamment déçu ou trahi par l’univers. Teddy, l’ex boxeur parkinsonien, a lui des envies d’ailleurs, bien décidé à repartir à zéro avec sa bonne amie. Chaque personnage cherche simplement une issue. Malheureusement, la série d’Ann Biderman s’emploie méticuleusement à réduire à néant leurs rêves de normalité. Comme si L.A., l’usines à rêves qui sert de décor à cette tragédie, n’était qu’un gigantesque miroir aux alouettes broyant et recrachant ce qu’il reste de qui oserait penser à la conquérir ou la fuir.
De son côté, Ray est à la fois le mieux loti des personnages de la série (aucun de ses rêves ne part en fumée) mais aussi le plus à plaindre (pour la simple et bonne raison qu’il ne rêve plus). Toujours en mouvement et greffé à son téléphone, il est, comme la série, en constant renouvellement. Le tenant en laisse à l’aide d’un agent de probation qu’il soudoie, Ray tolère son père et règle ainsi, temporairement, son Oedipe avec lui. Malgré la source de problèmes permanents qu’elle représente et la rupture grondant avec sa femme, il confie que sa famille est son unique source de bonheur. Malgré cela, il s’emploie à la perdre et s’en éloigne tout au long de cette seconde saison aux ramifications scénaristiques complexes et profondes jusqu’à un dénouement étonnamment clair, efficace et catharsique.
Auto-destructeur et insondable, plein de rage et de violence contenue, d’une épaisseur rare magnifiée par l’interprétation magistrale, très physique et toute en intériorisation de Liev Schreiber, Ray Donovan est, à l’heure actuelle, le personnage de télévision le plus fascinant qui soit. Mâle alpha à l’ancienne, fucked up sans espoir (apparent) de rémission, les moments où le personnage se lâche (en dansant sur Walk This Way de Run DMC) ou se décide à se combattre lui-même (en se mettant à nager au cœur d’une marée déchaînée) sont empreints d’une émotion brute, désespérée et jamais forcée dans le cheminement intérieur du personnage. Ces scènes apparaissent comme les points d’orgue du spleen généralisé que la série dépeint d’un épisode à l’autre et contribuent à la qualité hypnotisante, atmosphérique et dépressive de la série.
La lueur d’espoir dans ce marasme délétère se trouve chez les femmes. Saintes, voire martyrs, elles font ce qu’elles peuvent pour comprendre et vivre avec ces hommes qui ne se comprennent pas eux mêmes, détruisent ce qu’ils construisent, s’interdisant le bonheur et l’interdisant à celles qu’ils prétendent aimer autant qu’ils se détestent. L’autre lueur dans cet abîme de noirceur est, aussi inattendu qu’il soit, l’humour décapant de la série. Que ce soit dans les punchlines de destruction massive qu’elle égrène à longueurs d’épisodes, sa galerie de seconds rôles truculents ou certaines situations irrésistibles, Ray Donovan nous rappelle qu’il y a une énorme part de comédie dans toute tragédie et une porte de sortie pour tous ces personnages. Le season finale propose la thèse inverse : les bons moments sont emprunts de tragédie puisqu’ils ne sont qu’accalmie passagère avant de nouvelles malédictions (le regard caméra final de Ray, crépusculaire). Rendez-vous est donc pris l’été prochain pour la troisième saison de la plus glaciale des séries estivales.