Remis de son ratage au rayon polar fermier, Xavier Dolan revient à la charge avec son genre de prédilection : l’odyssée pop grumeleuse. Dans Mommy, il s’agit ainsi d’arbitrer une fois de plus ce vieux duel romantique : d’un côté, l’amour ; de l’autre, le reste du monde. Une quinqua sur le fil du rasoir s’y retrouve soudainement flanquée de son fils incontrôlable, ado à la langue pendante et aux traits de poupin hypertrophiés, virant diable de Tasmanie à la moindre contrariété. Au centre juvénile où elle le récupère, on ne manque pas de lui faire comprendre que sa progéniture est condamnée au mal et que l’amour d’une mère n’y pourra rien. Sauf que chez Dolan, l’amour — même imaginaire — peut tout.
On retrouve donc ici, intact et plus nerveux que jamais, un goût déjà bien établi pour les récits de mise à l’épreuve. À tous égards, c’est une bonne nouvelle, puisqu’on sait depuis Laurence Anyways que le prodige a besoin que tous les vents soufflent contre ses personnages pour pouvoir les voir s’envoler. Déchirer des vies jusqu’à en faire des confettis, puis souffler dessus parce que ça fait joli : c’est en somme le protocole de ce cinéma volontariste, braillard, souvent insupportable mais pris ponctuellement d’un souffle assez extraordinaire. En cinq films, il n’a échappé à personne que Dolan ne sait pas mettre en scène, et qu’il ne cesse de compenser cette lacune au moyen d’une collection de figures de style. Pour preuve : l’inutile format carré du métrage (de même que son élargissement ponctuel lors des phases d’euphorie – parce que les personnages respirent, voyez-vous), marqueur de ce rapport strictement performatif à la mise en scène. Rien, chez lui, ne doit se jouer à découvert : il faut au contraire que ça hurle et que ça s’entende, que le moindre tremblement intérieur laisse échapper son petit clip sous cloche (à vélo, en skate, en caddie de supermarché) et que chaque morceau de musique arrive au bout de ses 3 minutes 30.
D’où un film qui, tout en carburant à l’énergie, pèse une tonne, et se porte en toute circonstance vers les extrêmes et la saturation : en surface, par un bouillonnement de minauderies formelles ; de l’intérieur, par une suprématie de l’acting hystérique. De ce point de vue, il faut constater à quel point le parler québecquois est une aubaine pour ce cinéma : avec ses injures qui giclent comme des boulets de canon, la langue inocule à chaque situation un tempo disproportionné, moitié-grotesque moitié-épique, pour mieux accompagner le film dans son débordement constant. Raison de plus, au passage, d’attendre avec une curiosité toute particulière le futur projet américain de Dolan.
Sous cette surenchère systématique, quelque chose persiste bel et bien du miracle de Laurence Anyways. Un miracle d’autant plus louable que celui-ci relève moins d’une maturation de la part du surdoué, que d’un strict entêtement de cabochard, refusant vaille que vaille de céder sur le terrain du grand péplum intime dont il délire la nécessité à longueur d’interview. Il y a chez Dolan une manière d’amplifier ses tares qui les neutralise d’emblée, comme si chaque séquence développait une réponse immunitaire à la précédente. Tenant à bout de bras son micmac mélodramatique (l’impossible cohabitation entre une desperate housewive et son enfant terrible, le tout soutenu par une voisine bègue), le film émeut par sa manière de survivre à ses propres excès.
D’autant que sur un mode plus conquérant, Mommy n’entend que rejouer le noeud familial de J’ai tué ma mère — sinon celui, conjugal, de Laurence Anyways. C’est-à-dire : faire atteindre un point de saturation à une relation que tout condamne, dans l’unique but de la relancer. Raison pour laquelle, chez Dolan, le moindre geste revêt forcément des allures d’épiphanie, de même que la moindre scène implique toujours de repartir de zéro, en une suite de coups de force qui nivellent le récit par le haut et le plombent par le bas. Prisonniers d’un ressac, ses films enflent sans jamais réussir à véritablement avancer. C’était toute la beauté impuissante de Laurence Anyways que de s’achever, faute de trouver un épilogue heureux, sur un flashback de la rencontre du couple. Ici, c’est par le biais d’un fantasme en format large, d’un faux happy end où son avorton vivrait heureux et aurait beaucoup d’enfants, que Dolan fait mine de s’avouer vaincu — avant que dans un ultime sursaut, une ultime fuite en avant, lui et son personnage ne s’accordent à relancer la bataille.