Kyle Thomas, à la tête du projet King Tuff, est l’ancien frontman de Witch, groupe de stoner-métal essentiellement connu pour la présence de J Mascis à la batterie. En 2008, il sort en K7 un album solo longtemps considéré comme une sorte de Graal : bénéficiant d’un bonne production pour son format, Was Dead est un petit bijou de garage rigolard, énergique, ludique, qui compte autant de tubes que de titres, mais que peu de gens possèdent à l’époque (on peut aujourd’hui s’en procurer la réédition chez Burger Records). Le buzz qui entoure le groupe est alors censé se concrétiser dans le LP suivant, à paraître chez Sub Pop. Hélas, c’est une demi-déception : King Tuff (2012) a perdu en spontanéité ce qu’il a gagné en moyens de production, et si l’album n’est pas désagréable, il témoigne d’une tendance agaçante à vouloir épater l’auditeur, surtout le connaisseur de pédales d’effets, ou le geek des consoles à 128 pistes…
Autant dire que ce défaut n’a pas disparu avec Black Moon Spell (nouvel album toujours chez Sup Pop), loin de là, et dès le titre (éponyme) d’ouverture, Kyle Thomas met les points sur les i : ce sera une démonstration de maîtrise sonore, et qu’on n’attende pas de lui un petit manifeste lo-fi sur la folie d’être jeune et de faire du rock. Il s’agira de faire résonner les meilleurs systèmes audio de la planète, de la première à la dernière fréquence. Et le grand manège de la virtuosité de se mettre en route, au risque d’oublier un ingrédient essentiel qui serait, assez basiquement, le plaisir d’écoute. On n’est pas entièrement contre un son heavy ni quelques velléités glam, à condition de les mettre au service d’une sorte d’énergie supérieure, au lieu de cette chose glaciale et dénuée d’émotion. N’est pas Ty Segall qui veut, et au moment où ce dernier sort son masterpiece Manipulator, un petit objet assez prétentieux comme Black Moon Spell fait bien pâle figure.
Pour nuancer le jugement, on citera quelques bons morceaux dans le dernier tiers de l’album : « Demon From Hell », qui s’énerve un peu (enfin!), « Staircase of Diamonds », belle ballade planante parcourue de jolis choeurs, et « Eddie’s song », un rock-pop-psyché de fin de concert à chanter tous ensemble, avec cet esprit potache que l’on aurait aimé retrouver sur tout le disque. C’est assez maigre, et on compte maintenant sur ses prestations scéniques, qui ont bonne réputation, pour se réconcilier avec Kyle Thomas. Parce qu’avec cet album qui s’écoute difficilement plusieurs fois, on a l’impression que le petit génie est complètement essoré.