Il est loin le temps où il était simplement question de sauver une demoiselle en détresse. Prenez parmi les jeux les plus importants de ces dernières années, Gone Home, The Walking Dead, Bioshock Infinite ou encore The Last of Us : l’enjeu n’y est plus de sauver la fille comme on sauve le monde, de sorte qu’à la fin, l’autre ne se donne que comme un simple objet de récompense, mais au contraire, de construire un lien mis en perspective selon un regard et des possibilités d’interaction témoignant d’affects élémentaires mais pourtant essentiels. Plus de filles à sauver donc, mais qu’il faut plutôt comprendre dans un cheminement avec le joueur, comme le bambin de Murasaki Baby, produit par Sony pour la PS Vita et développé par les italiens d’Ovosonico. Signe que le territoire des sentiments qu’explore le jeu vidéo s’agrandit sans cesse, Murasaki Baby part ainsi du simple fait de se tenir la main, dans la lignée d’Ico, pour confronter in fine le joueur à l’art délicat d’être parent.
Entièrement tactile, Murasaki Baby propose de faire avancer un bébé à la recherche de sa mère, sans jamais faire éclater le ballon violet qu’il tient dans sa main (murasaki signifie violet en japonais). Sur sa route, ce sont divers obstacles et pièges qui l’attendent et qu’il faut déjouer en utilisant notamment le track pad arrière (intelligemment utilisé ici, ce qui est assez rare pour être souligné): le joueur peut en faisant glisser ses doigts changer l’arrière plan qui viendra différemment teinter l’humeur du bébé, mais surtout permettre une nouvelle utilisation tactile (faire apparaître la pluie pour éteindre un feu, le vent pour faire avancer un bateau, changer la gravité etc.). Au fil de ses niveaux, le jeu dessine alors un même impératif : savoir faire preuve d’attention et de délicatesse. Il s’agit de ne pas tirer l’enfant trop vite, bien le guider sous peine de le voir trébucher à la moindre brusquerie, manier avec précision et patience le ballon qu’il tient en main pour éviter qu’il le perde ou qu’il n’éclate, surveiller encore les autres bambins dans le jeu pour qu’ils ne volent pas le ballon de son personnage ou ne l’embêtent.
En réduisant au maximum la distance entre le joueur et le bambin (le jeu est ainsi débarrassé de tout élément d’interface, selon le principe de conception par soustraction cher à Ueda), Murasaki Baby amène ainsi le joueur à se concentrer sur le bébé et agir avec soin, mais aussi se rendre sensible à une multitude de détails et d’animations, vibrant dans les crayonnés du dessinateur Paride Bertolin, non sans rappeler les univers de Tim Burton et d’Edward Gorey. Fort d’une direction artistique impeccable, le jeu se repose cependant sans doute un peu trop dessus pour vraiment émouvoir, au point de manquer de difficulté et de complexité dans son level design pour éprouver avec plus d’intensité le lien avec le bébé. Reste néanmoins un beau plan final pour couronner l’aventure, accompagné par les accords doux amers d’une chanson d’Akira Yamaoka (compositeur de Silent Hill). Parvenu alors au seuil d’une porte entrouverte, le bébé au ballon violet s’arrête, regarde le joueur, et fini par briser ce quatrième mur que le joueur avait déjà franchi depuis longtemps.