Since I left you est un véritable déluge kaléidoscopique de samples, une croisière sonore multidimensionnelle en partance de Melbourne. Le premier album de The Avalanches pourrait être sous-titré « The Art of sampling ». Il évoque un paradis artificiel, génétiquement reconstitué par le Dr Funkenstein avec des centaines d’échantillons prélevés dans les nécropoles à vinyles du Sud australien. Robbie Chater et Darren Seltmann sont effectivement de fervents adeptes du dusty groove : « nous adorons fouiller les bacs à disques des dépôts-ventes. On y trouve surtout des disques de variétés des 60’s et des 80’s, très peu de collectors. On peut dire que notre album a été réalisé en utilisant tous les plus mauvais disques de Melbourne ! » On pourrait considérer ce premier opus comme le sequel dancefloor d’Endtroducing, sans la prétention rare-groove élitiste de DJ Shadow. Since I left you est un concept-album aussi radical et ambitieux que son prédécesseur californien mais il s’apparente plus à une mix-tape pour beach-party qu’à un austère manifeste abstract hip-hop. The Avalanches n’a pas honte de recycler Madonna (Holiday), Boney M (Ma Baker) ou Kid Creole & The Coconuts (Stool pigeon) pour façonner des tubes disco-house aussi bouillonnants et psychédéliques que le séminal Groove is in the heart de Deee-Lite.
Une expression inventée par le trio new-yorkais caractérise parfaitement ce délirant collage sonore édifié avec des bribes de pop FM 70’s, de funk et d’easy-listening : sampladelic. Since I left you s’appréhende comme un flux mouvant et ininterrompu de 18 titres, un fourmillement schizophrénique de petites boucles perpétuellement renouvelées, laissant l’auditeur sans repère, perdu dans un bric-à-brac sonore où se télescopent hennissements de chevaux, blips acid, chœurs de music-hall et clochettes célestes : « c’est l’enthousiasme de la jeunesse. Nous avons voulu tout mettre dans ce premier album. Avec le recul, nous savons maintenant qu’il faut savoir se limiter… » Une œuvre déroutante qui ressemble à un mauvais trip de Brian Wilson pendant une session de Smile… Coïncidence ? Van Dyke Parks a accepté de chanter sur le prochain maxi de The Avalanches : « nous adorons son album Discover America et en recherchant le nom de l’artiste qui a réalisé la pochette nous sommes tombés sur l’adresse e-mail de Van Dyke Parks. Darren lui a envoyé un message et ils ont commencé à correspondre. On lui a envoyé notre CD. Il est d’accord pour chanter sur un morceau mais il est très occupé pour le moment. »
Le seul featuring de l’album est une déconstruction lettriste d’un freestyle du Saïan Supa Crew, remixé sur un beat acid : « Dexter (un des deux DJ de The Avalanches) les a croisés dans un hôtel pendant le DMC-championship à New York, en 1999. Comme il emmène toujours sa caméra DV, il les a filmés en train d’improviser : on a ensuite samplé la bande-son du film. » Pour brouiller encore plus les cartes (-sons), The Avalanches est en réalité un groupe à géométrie variable. En studio, les maîtres d’œuvre sont Robbie et Darren. Les autres membres (Gordon McQuilten, Tony Diblasi, Dexter Fabay et James De La Cruz) alimentent les deux architectes sonores en samples et participent aux concerts : « nous n’essayons pas de refaire l’album en live. Ce serait impossible. Nous préférons faire des reprises de nos chansons avec guitare, basse, batterie et orgue, comme un groupe garage faisant des covers de nos chansons… On joue, et ensuite Dexter et James font leur DJ set en duo. En première partie, nous invitons toujours un vieux big-band ou un orchestre hawaïen. » The Avalanches ? Le Monstre de Tasmanie dévorant du vinyle à pleines dents, connecté à l’esprit baroque de Van Dyke Parks. Un mix sauvage et éreintant.