Derrière le nom de Hato Moa (littéralement Pigeon Moa, du nom de l’oiseau éteint) se cache une mangaka japonaise qui a fait ses premiers pas en France en 2007 avec le shonen Vairocana. Une situation tout à fait inédite qui souligne le profil atypique de cette trentenaire, éprise du genre avien et maitresse de trois pigeon-paons. Un premier avril, sans doute arrosé, elle lance le projet Hatoful Boyfriend. En apparence, un visual novel dating-sim de la classe Otome (destiné à la gent féminine), dans lequel les prétendants se tiennent sur deux pattes et chient sur les passants. Et on vous le dit sans détour, rarement un jeu vidéo aussi stupide en façade n’a su si bien catalyser le folklore otaku et le fossé culturel qui sépare japonais et occidentaux.
Drapé dans ses atours de romance lycéenne fleur bleue, Hatoful Boyfriend ridiculise tous les tropes du genre avec un sens de la dérision caustique. A commencer par l’anthropomorphisme, poussé au zénith de son absurdité. L’avatar féminin, humain, n’en finira pas de s’amouracher de ses camarades volatiles, dont l’hypothétique prestance soutenue par une bande-son aristocratique laissera au pire dubitatif, au mieux hilare. Mais bien plus encore, Hatoful Boyfriend est la déflection de toute la pop-culture nippone par le génial prisme Hato Moa. Ce patchwork goguenard d’influences agit comme un cheval de Troie explosif dans une cité régie par le Moe et défendue par des hordes d’otakus.
Puis, après quelques runs au terme desquels le cheminement vers la vraie fin se débloque, Hatoful Boyfriend prend un tout autre tour. Après s’être accoutumé à la galerie de volailles sur laquelle on ne pouvait s’empêcher de pouffer bêtement, les choses sérieuses démarrent. D’otome dating-sim railleur, le titre se transforme en sombre thriller shonen doublé de conflit mondial bigger-than-life dont les Japonais ont le secret (pensez Alive : Last Evolution en plus soft). Cette évolution quasi « potteresque » de l’atmosphère désarçonne brutalement le joueur, soudainement impliqué dans un drame plumeux. Et ça fonctionne.
En dépit de certaines maladresses d’écriture et de retournements attendus, Hatoful Boyfriend parvient dans ce segment à faire complètement oublier sa configuration d’origine. Il fait même preuve d’une certaine tendresse et émeut grâce à l’universalisme primitif et candide de son histoire. Sans pour autant trahir son postulat plus taquin que critique, Hatoful Boyfriend s’en remet ainsi à une tradition otaku ancestrale initiée par Le Dit du Genji dans le XIe siècle en même temps qu’émergeaient les mythes anthropomorphes. Romance, légères intrigues politiques, enquêtes et trahison s’y panachaient déjà dans ce qui constitue les pièces initiatrices d’un pan entier de l’art japonais.
Pour cela, Hatoful Boyfriend pourra être réduit à sa seule dimension loufoque ou provocatrice en occident. Il est pourtant l’héritier – impertinent – et le reflet de coutumes ancestrales qui lui valent de briller à sa manière. Comme une tranche de vie absurde et revigorante, aussi grotesque que drôle, aussi paradoxale que touchante. Une note tonique sans prétention.