Perles rares et bizarres, oeuvrettes dégénérées, classiques ressortis des cartons : en vingt ans, L’Etrange n’a jamais failli à son ambition d’ouvrir au public l’accès aux recoins les plus tordus du cinéma de genre – mais pas seulement. On ne saurait trop vous conseiller d’aller souhaiter un bon anniversaire à ce festival précieux, qui célèbre l’événement avec 20 films piochés dans sa courte histoire, parmi lesquels Gummo, Toto qui vécut deux fois, Tetsuo et Merzbow : beyond ultra violence, qui comme son nom l’indique est un documentaire sur Merzbow.

Vous avez peut-être déjà loupé quelques belles raretés (comme le Continental circus de Jérôme Laperrousaz, ou New York city inferno, tous deux présentés par Jacques Audiard dans le cadre de sa carte blanche), mais il reste quelques immanquables. Aujourd’hui et demain, Sono Sion sera là pour vous présenter ses films préférés, dont Babe 2. Et le week-end prochain, ce sera au tour de Godfrey Reggio, l’auteur mythique de Koyaanisqatsi, qui montrera deux films de Pelechian, ainsi que Sayat Nova et le génial Cops de Buster Keaton.

Du côté de la compétition, et parmi beaucoup de choses alléchantes (dont les derniers Sono Sion et Miike), on ne saurait trop vous recommander It follows, le deuxième film de David Robert Mitchell, habile et beau conte de terreur adolescente où passent les fantômes de Carpenter, de Freddy, et surtout du Black Hole de Charles Burns.

Ne loupez pas non plus les « Pépites de l’étrange », qui vous permettront entre autre de revoir Videodrome dans une belle copie restaurée, un peu avant sa sortie en salles – et d’autres choses plus rares et intrigantes.

Côté événements, un ciné-concert qui se pose là : Carnival of souls mis en musique par The Pere Ubu film group, soit le nouveau projet, entièrement dédié à la mise en musique de classiques B (avant Carnival of souls, il s’était attelé à It came from outer space et The man with X-Ray eyes), de David Thomas.

Mais s’il y a, parmi cette pléthorique programmation, un film à ne pas louper, c’est bien Il est difficile d’être un dieu. Le dernier film (posthume) d’Alexeï Guerman est littéralement un film monstre, et n’atteindra les salles françaises qu’en février 2015.
Voilà ce qu’on en disait en décembre dernier, après l’avoir découvert au festival de Rome :

Difficile de faire plus intimidant que ce film-là, qui est à la fois le dernier de Guerman (lequel est mort en février dernier tandis qu’il terminait la post-synchronisation), et peut-être la pièce maîtresse d’une œuvre qui y semble toute entière résumée. D’autant que le film est, littéralement, l’oeuvre d’une vie : Guerman y pensait dès 1968 (ce devait être son premier film), dut repousser le projet de nombreuses fois, avant de s’y atteler finalement dans un geste aussi ample et monstrueux que le résultat – six ans de tournage, et presque autant pour la post-production. Adapté d’un roman des frères Strougatski (comme le Stalker de Tarkovski, auquel on pense beaucoup), Il est difficile d’être un Dieu est une œuvre monstre de science-fiction, située sur une planète lointaine mais familière, dont les habitants vivent à l’heure du Moyen-âge terrien, et visitée par une poignée de scientifiques humains censés chaperonner cet embryon misérable de civilisation. Cette imposante parabole, Guerman refuse de la traiter en suivant les voies du récit : les trois heures éprouvantes du film consistent en une déambulation suffocante parmi la fange et le sang, dans une sorte de grande poubelle primitive où s’empilent toutes les strates de l’abjection. On pense alternativement à Tarkovski (Stalker, donc, et forcément Andreï Roublev), Béla Tarr ou Artur Aristakisyan, sans jamais trouver de réel équivalent à cette chorégraphie d’apocalypse, sublime et insoutenable, où la manière Guerman (des regards-caméra, ici systématisés, à la logique de saturation des plans qui domine son œuvre) est portée à un point d’incandescence. Sinon dans l’évocation, par Guerman lui-même, de Jérôme Bosch : on croirait en effet suivre une sorte de reportage en noir et blanc parmi les pigments du Jugement dernier.

Toutes les infos sur le festival :
http://www.etrangefestival.com/2014/fr/