Bientôt vingt longues années que les mordus de jeu de rôle s’enfilent des gelées dans Tales of. Si la saga n’a pas la notoriété ni les budgets du rouleau compresseur Final Fantasy, elle a su transposer et imposer mieux que personne la formule « shonen » qui fait vendre par palettes entières les One Piece et autres Naruto sur l’archipel et dans le monde entier. Héros grande gueule, mythologie élaborée et gameplay progressif nerveux constituent de fait les trois piliers qui ont permis à Tales of d’être l’étendard vidéo-ludique de la pop-culture nipponne. Les pieds dans le ciment, la série trop souvent jalousement gardée au Japon par son producteur Hideo Baba tente pourtant quelques inflexions rafraîchissantes à chaque épisode. On nous parlait de ségrégation et d’esclavage dans Symphonia quand Vesperia sur 360 distillait son message écolo comme un bon militant Greenpeace. Chaque itération est également l’occasion de renforcer le système de combat over-the-top de la licence, l’un des rares du jeu vidéo à étaler sa progression sur plus de cinquante heures afin de garder le joueur en haleine.
Le soldat Xillia 2 est quant à lui au garde-à-vous : casting vivifiant perclus de stéréotypes aimables, joutes explosives et aventures extravagantes s’y côtoient dans un bain de niaiserie bienveillante qui fout la gouache. L’atmosphère jazzy assez inédite vient même rajouter le zeste qui marque la différence. Copie propre sur le papier. Pourtant quelque chose cloche. Le modèle sature. Le joueur sature.
Xillia 2, dernier héritier d’une tradition toute japonaise du « plus c’est mieux », se noie sous son contenu débilitant et son remplissage artificiel. Il tente bêtement de convaincre son audience que de sa boulimie d’activités qu’il tient de ses prédécesseurs et de zones à peu près ouvertes découle naturellement l’émerveillement. En réalité, les décors se suivent et se ressemblent, à peine auront-ils le droit à un changement de palette (et encore) et quelques effets météo. La fadeur des environnements accompagne leur exploration insignifiante, mais néanmoins obligatoire pour espérer se dépêtrer de l’avalanche de quêtes empruntées au MMO.
Car Xillia 2 ne fait pas que s’empêtrer bêtement en cherchant à honorer ses ainés (ou plutôt à servir d’encyclopédie froide de features), il va plus loin encore dans son insatiable monomanie pour le contenu. Dans un climat délétère pour une industrie japonaise en pleine crise d’identité, il a la prétention de vouloir assimiler en sus des éléments d’ici et d’ailleurs qui ne sont d’ordinaire pas dans le sillon du RPG traditionnel qu’il est censé représenter. La maladresse avec laquelle sont par exemple incorporées la liberté de mouvement du RPG occidental ou la densité du jeu de combat fait peine à voir. Ce maillage improbable et conflictuel des sensibilités qui s’effiloche à vue d’œil parasite irréversiblement le cœur « manga » de l’expérience ; lequel produit pourtant l’intensité pop exotique et délectable des Tales of. Epopées entraînantes et découvertes naïves sont ainsi évincées par quelques séances de farming et un héros muet aux grognements de basse-cour. Comment ne pas voir alors Xillia 2 comme l’épisode du trop-plein et de l’essoufflement ; celui qui prostitue sa saveur contre son héritage et un peu de celui des autres ?
Les tiraillements permanents de Xillia 2 sont une preuve que Tales of sature de sa propre accumulation de codes et souffre d’un mal-être japonais qui ne suscite pas les bonnes réponses. Plutôt que d’opérer une refonte de la formule en raccommodant et en modernisant ses grands principes, Bandai Namco choisit de perdre le joueur dans un pot-pourri illisible qui va jusqu’à gâcher la fluidité légendaire des gameplays de sa série. Ecartelé sur la place publique par une conjoncture économique et technique complexe pour le jeu vidéo nippon, Xillia 2 est le symptôme d’une mouvance qui doit se refonder pour perdurer. A croire que l’industrie du J-RPG a choisi d’ignorer les prouesses de Xenoblade.