On l’a dit et répété, le manga pour jeunes garçons est en crise. L’écrasante domination de One Piece sur le marché est l’arbre qui cache une forêt dévastée, dont les principales locomotives s’essoufflent tant et si vite qu’elles finissent par s’arrêter, à l’image de Naruto dont la fin est programmée cette année. Depuis quelque temps, les éditeurs pensent avoir trouvé un début de panacée en injectant dans les séries des ingrédients habituellement réservés à la bande dessinée pour filles – comme par exemple le duo à la relation ambiguë de Black Butler. Mais alors que le débat sur le genre fait fureur en Europe, une série vient à point pour rendre hommage au « shônen à la papa », celui qui sent bon la sueur et la testostérone, redynamisant au passage le genre en perdition.
« Plus ça rate, plus ça a de chances de marcher ». Le cuisinier Soma Yukihira aurait pu faire sienne la devise Shadok. En expérimentant les combinaisons d’ingrédients les plus improbables, ce petit génie de la cuisine obtient essentiellement des ratés catastrophiques, jusqu’à ce qu’il crée tout à fait fortuitement une recette exceptionnelle. Le bon sens et l’expérience acquis lors de ses rares réussites et de ses nombreux échecs vont lui permettre d’affronter à tour de rôle les plus grands cuisiniers, concentrés de leur côté sur leurs recettes gravées dans le marbre. Reprenant les principes de Mister Ajikko (connu en France par sa version animée Le Petit Chef), le scénariste Yuto Tsukuda avance en terrain conquis. Car dans un pays où la restauration fait partie intégrante du quotidien (Tokyo à elle seule compte 80% du nombre de restaus en France !), le manga culinaire est un genre qui a fait ses preuves – rappelons que l’un de ces magas, Oishinbo, s’est même trouvé à l’origine d’une vaste polémique en s’intéressant aux événements de Fukushima.
Histoire de mettre un maximum de chances de son côté, Food Wars ! se déroule dans une école hôtelière d’exception, où les caprices les plus loufoques sont légion : l’établissement ayant pris une place de choix chez les collégiens et les lycéens, le cœur de cible de la série n’en est que plus sensible au caractère frondeur de Soma. Grain de sable dans les rouages, le cuisinier n’hésite pas à défier (et à vaincre) ses supérieurs lors de défis culinaires où il prépare des merveilles en prenant les plus simples ingrédients du quotidien.
La série donne aussi à Shun Saeki l’occasion de dessiner méticuleusement ces plats pour mieux faire saliver le lecteur, proposant ainsi un food porn renforcé par les expressions orgasmiques des dégustateurs. Ce genre de scène, là encore, rapporte sur tous les tableaux : la libido des ados se réveille quand l’une des membres du jury a 18 ans et un bonnet C, et l’humour prend le dessus quand il s’agit d’un grand-père rachitique.
Pour forger leur toute première série, Tsukuda et Saeki ont appris des erreurs de leurs aînés. Sont mis en avant des personnages détaillés et modernes (ce qui était rarement le cas dans les mangas culinaires), et ceux-ci attirent facilement de nouveaux lecteurs, tandis que le scénario va au-delà d’une simple succession de duels aux fourneaux, imbriqués dans une sous-intrigue (la rentrée, le voyage scolaire) elle-même intégrée à une trame plus large… Ce système de poupées russes permet assurément à la série de ne jamais tomber dans la répétition, tout en lui garantissant un succès sur le long terme. Lequel se fait déjà largement ressentir au Japon, où plus de trois millions d’exemplaires de la série se sont écoulés (alors que celle-ci n’en est qu’à son septième tome). Et à défaut d’être un chef d’œuvre, Food Wars ! s’annonce probablement comme le précurseur d’une nouvelle époque pour le manga. Cadeau idéal pour agrémenter la rentrée de son petit cousin, la série contient tous les ingrédients d’un manga à succès – bien que chaque page menace de donner une fringale subite.