La Route du Rock – Jour Premier
La pluie torrentielle qui inonde le site du Fort Saint-Père donne le ton cataclysmique de la première soirée au festival. Deux castes de festivaliers se dégagent très vite : ceux à qui on ne la fait plus, équipés de bottes et de panchos, et les malheureux qui résistent encore à la défaite psychologique annoncée de foutre en l’air une paire de tennis neuves ou presque. Je passe devant Angel Olsen qui fait ce qu’elle peut sur la petite scène. Il me semble bien reconnaître « Unfucktheworld » mais je n’en mettrais pas ma main à couper. Certains s’arrêtent écouter, d’autres passent leur chemin — la file d’attente est encore raisonnable aux jetons. Il est 19h, l’heure d’interviewer The Fat White Family. Il est 19h20, et il n’est plus l’heure d’interviewer The Fat White Family. Personne, pas de nouvelles. Alors je vais écouter The War on Drugs. C’est très mou mais fidèle à l’esprit du dernier album aux accents springsteeniens, alors je ne m’éternise pas et file au bar. C’est un peu la kermesse : des têtes connues, du saucisson, et les pieds dans la boue. Je me fais la réflexion qu’il faudra que je ramène des gobelets chez moi, même s’ils ne sont pas aussi beaux que ceux de l’année dernière. L’interview de The Fat White Family est reprogrammée à 21h50. L’espoir renaît en même temps que la peur de me faire pisser dessus par un type sans dents. Je file voir Kurt Vile, et c’est quand même autre chose que The War on Drugs, mais les débats qui s’ensuivront sur le sujet n’excèdent pas les « moi j’aime bien The War on Drugs » et « Kurt Vile, c’est moins chiant ». La discussion est impossible mais se poursuit le temps que Real Estate joue — ou ne joue pas, qu’est-ce que j’en sais, finalement. Les concerts que j’attends sont à venir. Thee Oh Sees commence. Je ne sais pas bien comment, mais je me retrouve à pogoter au milieu de furieux festivaliers pendant une trentaine de minutes. Je perds dix ans et mon sens de l’équilibre. Je pogote plutôt comme une victime, je ne suis pas celui qui met de grands coups à tout le monde mais plutôt l’électron inanimé qui ricoche d’un torse à l’autre. J’ai désormais perdu tout le monde et le jeu du « allo t’es où ? hein ? quoi ? je t’entends pas ! à gauche de la régie ! à gauche de la régie ! allo ? je t’envoie un message » commence. Thee Oh Sees finit son set qui ne m’intéresse plus mais auquel je reconnais tout de même une certaine qualité. Bien sûr, The Fat White Family ne s’est pas présenté pour l’interview et en attendant leur montée sur scène, je parie avec mon quadra de voisin malouin bourru — mais pas tout à fait bourré — qu’ils ne se produiront pas. Pari perdu. « Auto Neutron » commence. Je suis loin de la scène et ne sais pas dire si le chanteur est en slip ou non. Ça joue plutôt bien, et c’est selon certains le concert de cette première soirée de festival. Je ne partage pas cet enthousiasme et me dis que j’aurais dû rester plus longtemps devant le concert de Thee Oh Sees. Premier baillement, l’âge sans aucun doute. Dodo. Tant pis pour Caribou et Darkside.
La Route du Rock – Jour Deuxième
L’interview de Liars est programmée à 15h. La conversation avec Angus Andrew est plutôt intéressante. Enfin j’essaie surtout de poser des questions qu’il ne balaiera pas d’un revers de sa grosse main. En somme, ne pas passer pour un boulet. L’exercie terminé, retour à Saint-Malo. Plage, sieste, far breton, café. Et puis cette folle idée de ne se mettre en route qu’une heure avant l’interview d’Aquaserge. 2h12 de porte à porte, c’est donc foiré. Mais j’arrive à temps pour le concert de Slowdive. Je craignais que leur retour en flammes ne soit finalement qu’un feu de paille. Il n’en est rien. Le son est épais et porte loin. J’écoute religieusement « Machine Gun » et « Souvlaki Space Station » et ignore le temps du concert mon portable qui vibre rageusement contre mon testicule droit. Puis Portishead. Indécision générale : aller se placer devant pour le concert ou aller chercher une bière ? Notez bien que je n’ai pas la vulgarité parisienne de parler de mon amour pour les galettes saucisses. La prise de décision n’est pas facile mais elle est finalement dictée par les mouvements de foule. Ce sera devant la régie. Et pas plus près. Derrière un géant de deux mètres soixante-dix. Au moins. Qui cache à la fois l’intégralité de la scène et les écrans sur le côté. J’écoute donc tranquillement le best of de Portishead, propre mais sans surprise. Ok. Le moment de détente est paradoxalement celui où joue Metz. Concert furieux sur la petite scène que j’écoute d’une oreille distraite depuis un stand de merchandising où je caresse en vain l’espoir d’obtenir un tatouage de La Route du Rock. Rupture de stock sur les décalcomanies. La déception laisse vite place à un regain d’entrain quand Angus Andrew monte sur scène, cagoulé d’un bonnet péruvien à dreadlocks de laine rouge. Les anciens morceaux à guitares sont revisités pour un set très électronique. Le son perd en acuité ce qu’il gagne en profondeur. A mesure que le concert avance me gagne la peur de ne pas entendre « Plaster Casts of Everything ». Ouf, c’est le dernier morceau. Parfait, merci. Me voilà comblé. Chic, alors. Je convoque le groupe voiture pour une réflexion générale : attendre 45 minutes pour le concert de Moderat ou rentrer ? Les conditions climatiques apocalyptiques et les lois de la mécanique des fluides boueux auront raison de nous : il est plus sage de se préserver pour la dernière soirée et de creuser les premiers sillons où s’embourbront d’autres voitures à la sortie du parking. Les morceaux principaux des albums de Moderat seront joués à plein volume dans l’automobile une fois forcé le barrage de gendarmes.