En début d’année Tomb Raider ouvrait le bal des éditions remasterisées qui désormais occupent davantage les studios que la production de nouveaux titres. A moins que cette nouvelle mode serve pour faire patienter devant des délais de productions toujours plus larges, on y voit surtout un prétexte pour justifier la vente de machines en essayant de leur fabriquer un catalogue à base des hits de l’année dernière. Car si les PS3, X360 et Wii s’accaparaient le marché du rétro gaming en allant puiser dans un passé glorieux et lointain, les PS4 et One voient l’Histoire dans les jeux sortis il y a un an ou deux. Symptôme d’une accélération du monde sans doute, l’amnésie volontaire (à force de vitesse vient l’ivresse et l’oubli) semble être le nouveau crédo des éditeurs, persuadés qu’une mise à jour graphique nous fera tout avaler, ou plutôt tout oublier. On s’est donc réveillés ce matin, pourtant sans gueule de bois, avec une copie de The Last of Us Remastered entre les mains, un peu comme on cherche à nous vendre du Blu-Ray pour remplacer cet objet sans âme et déjà désuet qu’est devenu le DVD.
Le même jeu donc en mieux ? Si on avait fait une entrave à nos principes avec la nouvelle version de Tomb Raider, on répète l’opération ici. Pourquoi ? Parce qu’elle permet de mesurer une différence entre les deux titres qui raconte quelque chose sur les capacités des machines, et l’intérêt réel qu’elles possèdent de ce point de vue. Là où le jeu de Crystal Dynamics voyait sa profondeur de champ s’accroître, tout en renforçant la fluidité de l’animation (au passage accentuant toute sa sensualité), The Last of Us, quoique moins sidérant de prime abord, voit son rendu lui aussi évoluer. Et cette évolution n’est pas une question de détails, d’images plus fouillées, de textures moins grossières. Ou plutôt, c’est parce que la console permet cet upgrade, que le jeu va au-delà de la bataille de pixels ou du nombre d’images par seconde. C’est dans l’effet produit et non la cause que naît la curiosité, et celle-ci tient non pas au piqué pornographique qui fait bander les specs, mais au réalisme qu’il génère.
La version remasterisée de Tomb Raider gagnait aussi en réalisme, parce qu’elle prolongeait cette nouvelle illusion de la caméra dans laquelle existe la simulation d’un corps plus vivant que jamais. The Last of Us Remastered joue sur un autre terrain du réalisme qui cherche moins à travailler des effets photographiques. Malgré sa dimension cinématographique martelée partout, cette version vaut moins pour ce qui pourrait sembler de prime abord en découler (la simulation d’une image enregistrée, le montage que Naughty Dog a su réinventer), que sur ce que le jeu met concrètement en scène. Pas de profondeur de champ vertigineuse, ici. On peut s’ébahir devant la luxuriance optimisée des décors, mais on n’y verra surtout que la besogne technique, la trace de l’outil plutôt que ce qu’il matérialise. Là où le jeu change et monte d’un cran par l’ensemble de ses améliorations (y compris sonores), c’est dans son climat, sa violence, sa dureté. Il est encore plus sec, plus froid, plus rude. Son esthétique du vide et de la ruine, sa fascination pour la désolation, ces espaces hantés par le spectre d’une humanité renvoyée à son animalité, sont plus prégnants. Tout ce qui était là s’en retrouve démultiplié. Et encore plus troublant, inconfortable, finalement moins abstrait, moins flou, moins distant. C’est moins voir le jeu différemment, que l’éprouver avec une acuité et une sensibilité différentes.
Comme en changeant de pellicule puis en passant au numérique le cinéma a changé de peau, le jeu vidéo provoque voire se découvre à chaque palier technologique de nouvelles sensibilités esthétiques. Pas de quoi justifier le rachat de tout un catalogue (contrairement au Blu-Ray qui tend à réduire la distance avec le cinéma, le remastering ne comble rien du tout), mais cette danseuse que l’industrie s’est trouvée a au moins le mérite de ne pas être complètement en pure perte.