Les chiliens d’ACE Team arrêtent enfin de déconner. Zeno Clash, leur FPS préhistorique barré dont les anachronismes déjantés rappellent les élucubrations dessinées de Nabuchodinosaure, ainsi que Rock of Ages, cet ersatz de Super Monkey Ball qui vole tout à Monthy Python, avaient en eux l’insouciance qui imprègne les jeux conçus entre potes. Avec Abyss Odyssey, l’équipe a mûri. Dans ce rogue-like aussi carré que sérieux, les développeurs nous coulent dans un dédale abyssal qui s’enfonce jusque dans les profondeurs de la terre.
ACE Team étant ce qu’ils sont – des anticonformistes assumés, des briseurs de case – on mesure au fil des salles toute l’ampleur de l’hybridation des genres. Tout part de la volonté des créatifs de moderniser un genre éculé en y ajoutant leur grain de sel. Ainsi la solide et traditionnelle base Dungeon-RPG qui renait de ses cendres depuis l’avènement des indépendants se nappe d’une surcouche complexe et intriquée. Imbriqué dans un side-scrolling à la metroidvania (en moins rigoureux), le système de combat insère l’exigence tactique tranchante d’un Soul Calibur dans des joutes calquées sur Super Smash Bros, mais moins juvéniles et nerveuses. C’est comme si ACE Team avait pris le temps de déconstruire la formule de la saga pour ensuite la réassembler après l’avoir imbibé de la maturité du jeu de combat compétitif. Précis sans être agile, le résultat donne à voir des batailles rangées quoiqu’intenses, faites d’une juxtaposition hachée de cancels, d’esquives et de gardes qui se confondent dans des mêlées d’une rigueur et d’une austérité napoléoniennes. Plutôt qu’un beat them all en vue de côté, Abyss Odyssey se range dans la catégorie des jeux de combat en free-for-all rigides et réfléchis. Dont il est à peu près le seul représentant bien que Super Smash Bros Melee ne soit pas très loin.
Malheureusement de la poule aux œufs d’or cross-over de Nintendo, Abyss Odyssey a également repris le mauvais équilibrage des personnages. A vouloir trop manger à tous les râteliers, on attrape les saletés des autres. Si la mauvaise balance des aptitudes n’est pas tant dérangeante dans le mode histoire où l’on joue à tour de rôle trois différents personnages, c’est plus dommageable dans un mode versus en local. Pièce d’antiquité que l’on croyait ne jamais revoir sur PC autrement qu’en passant par GOG, le multi local d’Abyss Odyssey aurait pu laisser un souvenir impérissable de fières rixes entre amis s’il n’était pas aussi inégal et que les personnages n’étaient pas aussi fastidieux à débloquer. On dira que c’est de bonne guerre, tant l’intelligence artificielle du titre compense en étant délicieusement impitoyable. A vrai dire, sans cette IA aux petits oignons, Abyss Odyssey ne pourrait pas être le petit objet de sophistication qu’il prétend incarner.
Simplement, si ACE Team n’avait pas fait de son gameplay prenant la moelle épinière de son titre autour duquel tout s’organise, l’illusion n’aurait pas pu tenir. Car bien qu’ils mettent du cœur à l’ouvrage et tentent de gommer les aspérités d’un genre aussi dépassé que le rogue-like, les chiliens ne parviennent pas (est-ce possible ?) à faire oublier l’odeur de putréfaction qui émane d’un cadavre que l’on préfère garder à table plutôt que dans le cimetière. La génération aléatoire des salles de l’abysse impose un level-design sommaire et redondant qui implique des arènes quelconques et un parcours monotone. Les environnements n’ont par conséquent aucun relief, aucune âme. On y déambule jusqu’à être captivé par un affrontement. Enfin, pour peu que la difficulté qui change de salle en salle n’ait pas déjà sanctionné le joueur par un die & retry aussi artificiel qu’abrutissant.
De fait, bien qu’elle agisse comme un mirage efficace, ACE Team se fourvoie en croyant pouvoir moderniser une formule ancestrale qui consacre l’aléatoire et ne peut pas organiser intelligemment la progression. Malgré les incroyables efforts produits sur un gameplay innovant aussi tendu et séquencé qu’une partie d’escrime, rogue-like ne peut rimer avec sophistication.