Passé le plaisir de retrouver Jack Bauer et sa panoplie de héros incompris, la crainte du simple revival nostalgique s’est insinuée dans notre esprit devant cette saison de 24 réduite de moitié, tournée à Londres et de toute évidence dotée d’un budget inadapté à faire de ce 24 : Live Another Day l’évènement télévisuel qui nous avait été vendu. Contre toute attente, après quelques épisodes inégaux et laborieux, cette neuvième saison d’une série oubliée des masses – tristement détrônée par Homeland et ses ersatz dans l’imaginaire collectif – s’est révélée être l’une des saisons de télévision les plus divertissantes, enthousiasmantes et stimulantes de l’année.
Pourtant, Chloé en Lisbeth Salander, une menace terroriste étonnamment petit bras et crédible (des islamistes ont pris le contrôle de drones et s’apprêtent à attaquer Londres), la mise en scène d’un groupuscule à la Wikileaks déjà daté et les sempiternelles histoires de taupe ne laissaient rien paraître de bon. Pendant un moment, l’ensemble a même ressemblé à du petit 24 de mi-saison, ce 24 décevant qui radote entre incipit et premiers actes tonitruants et le basculement narratif du dernier quart de chaque saison où les intrigues prennent leur envol dans une course effrénée vers leur dénouement. Tout semblait concourir à faire de cette saison un nouvel avatar des mauvaises idées mercantiles de networks en mal de nouveaux shows tenant la route et gardant l’oeil dans le rétro, les yeux rivés sur ce qui avait fait leur âge d’or.
Puis est arrivé, à peu près à la moitié de la saison, ce qu’aucun manuel de scénario n’osera appeler le « craquage généralisé » mais que peu de locutions pourraient remplacer pour décrire fidèlement ce qui se passe dans cette nouvelle journée aux côtés de Jack. Il suffit d’un hôpital explosé au drone en plein centre-ville londonien suivi d’une poursuite voiture/drone faisant tout sauter sur son passage pour que 24 redevienne le blockbuster télévisuel qu’il était il y a dix ans. Après les premiers épisodes et l’ultra-efficace retour de Jack sur le devant de la scène (comme son idée de génie: déclencher une émeute en tirant sur des manifestants pacifistes afin d’infiltrer un bâtiment officiel), il y a eu une véritable pénurie de morceaux de bravoure, Jack n’ayant aucune occasion de faire la démonstration de sa vaste panoplie de talents. Jusqu’à ce moment charnière donc, où une fois les enjeux et les arcs narratifs bien en place, la saison devient une succession de climaxs hyper-efficaces vecteurs d’un constat simple : Jack Bauer est et restera le héros le plus badass du médium télévisuel.
A grands renforts de punchlines dévastatrices avant (ou après) les exécutions jouissives de terroristes ponctuant des scènes d’action dantesques (l’épisode final est à ce titre un monument de folie quasi ininterrompue), 24, en retravaillant son concept et en l’adaptant aux années 2010, est parvenue à mettre de côté ce qui faisait la faiblesse de la série (exit les personnages boulets, leurs sous- intrigues et le remplissage stérile qui allait avec). Au contraire, avec cette nouvelle contrainte de temps, la série, témoin en temps réel de cette Amérique devenue soudainement la proie privilégiée du terrorisme, a su effectuer sa remise en question en abandonnant les gimmicks qui la plombaient lors de ses dernières saisons. Les fameux split screens sont quasi inexistants. Le temps réel est véritablement traité comme la blague qu’il a toujours été, les personnages couvrant des distances folles en cinq minutes, mais le compteur, culte, égrène toujours aussi inéluctablement les secondes du compte à rebours funeste de la série. Le 24 nouveau se permet même d’être en phase avec l’actualité, à un moment où les drones sont remis en question et où le retour des Russes en boss final fait écho aux manigances de Vladimir sur l’échiquier international. Sans se perdre dans des subtilités géopolitiques dignes d’AMC, le soin apporté à la mise en contexte de l’intrigue est notable dans une série qui avait commenté en temps réel l’entrée en guerre des USA contre l’Afghanistan et l’Irak avant de ne devenir qu’un concentré d’exploitation de la grande peur américaine du terrorisme.
Il convient également de relever le haut niveau d’écriture et d’interprétation des personnages, renvoyant aux premières heures de la série. Typique de ces oeuvres où les personnages se définissent dans l’action, 24 n’offre que peu de moments intimistes dans lesquels ceux-ci révèlent leurs fêlures et laissent entrevoir leur âme, bien cachées derrière les 9mm et les gilets pare-balles. Dans cette saison, un personnage comme le président Heller perd son statut d’agaçant succédané de Kennedy pour dresser le portrait d’un homme affaibli, touchant et même bouleversant lors du dernier épisode. Il en va de même pour Bauer, totalement habité par un Kiefer Sutherland clairement dans le rôle de sa vie, maîtrisant chaque inflexion de son personnage et pouvant passer, en une demi-seconde et un tressaillement du regard du désespoir total, le doigt sur la détente et prêt à se suicider, à la folie meurtrière l’obligeant à abattre une trentaine de séparatistes Chinois (eux aussi revenus dans cette saison aux allures de menu Maxi Best-Of maîtrisé comme jamais).
Bien sûr, on pourrait reprocher aux showrunners un excès de fanservice (on ne compte plus les « son of a bitch ! » et autre « tell me… NOOOOW ! » typiques de Bauer), même si celui-ci fait partie du contrat implicite que l’on signe avant de se mettre devant une série qui adore se caricaturer. On regrettera toujours que la mise en scène quasi-expérimentale instaurée par Stephen Hopkins en saison 1 ne soit vraiment qu’illustrative et fonctionnelle. Mais au final, lorsqu’on retrouve les mêmes sensations physiques que celles provoquées par la série durant son âge d’or (ces moments d’incrédulité face à la cruauté et le jusqu’au-boutisme de certains twists, l’excitation lors du compte à rebours final des épisodes charnières, lorsque l’on sait pertinemment qu’il faudra patienter une semaine avant le suivant, l’accélération du rythme cardiaque qui va avec ) … quel pied ! Et vivement la suite.