Cette remise à flots de l’éblouissant premier album de Fugu se distingue avantageusement du lot commun des rééditions : une fois n’est pas coutume, il s’agit là davantage d’une réhabilitation, pour ne pas dire d’une résurrection. Fugu #1 sort une première fois en 2001 sur le label Ici d’Ailleurs, affublé d’un mixage low-fi qui se révèle totalement inadapté à la musique de l’orfèvre pop, un mixage tellement dénué de dynamique et de groove que la minutie ornementale de l’instrumentation et les innombrables détails acoustiques en perdent leur latin. Un fâcheux contresens lorsqu’on sait que la démarche de Mehdi Zannad, qui exerce par ailleurs la profession d’architecte, tend à l’inscrire dans une « ligne claire » où chaque élément se doit d’être lisible, où le moindre arrangement se veut limpide et épuré, n’autorisant aucun subterfuge pour masquer les bévues éventuelles. Néanmoins, malgré ce premier mix ingrat, l’album reçoit un bon accueil critique et trouve sa place dans le panthéon des fans de sunshine-pop baroque. Désormais remixé et remasterisé par Tony Lash (Tahiti 80, Cardinal, the Dandy Warhols…), on peut enfin découvrir ou redécouvrir ce chef-d’œuvre tel que son créateur l’a initialement conçu. Et l’on peut dire que cet acharnement à vouloir restituer à Fugu#1 toute sa clarté et sa luminosité était amplement justifiée. Tout sonne en effet cent fois mieux qu’auparavant, et le refaire tourner aujourd’hui sur sa platine procure l’impression de l’avoir écouté jusqu’à présent avec des boules Quiès enfoncées dans les esgourdes.
Il aura fallu attendre une bonne quinzaine d’années et surmonter bien des déconvenues, comme le raconte son auteur dans le livret qui accompagne cette belle et indispensable édition, pour entendre enfin ce disque dans sa version définitive. Entre l’ambiance pourrie par la promiscuité durant l’enregistrement, dans une ferme en travaux, un mixage contrarié par des problèmes financiers, et des disputes avec son label initial, cette collection de chansons parfaites a bien failli ne jamais voir le jour. Fugu#1 est composé en Roumanie et enregistré en France durant la deuxième moitié des années 1990. À cette époque, produire un disque de pop sophistiquée, intégrant de manière frontale le son sixties des Beach Boys et des Beatles, est une aspiration qui laisse encore sceptique les producteurs indés français. Espérer trouver un piano dans un studio français semble même tout à fait hasardeux, tant les studios ont troqués les boiseries contre le tout-synthétique. Refusant de capituler, Zannad parvient néanmoins à réaliser un album à la mesure de son ambition, où les arrangements déploient un instrumentarium à faire chavirer les cœurs : clavecin, mellotron, clavinet, wurlitzer, mille-feuilles de violons, harmonies vocales à la Brian Wilson, basse aux rondeurs sensuelles et percussions pleines de grâce…
Cette nouvelle édition, et le très beau concert donné aux Trois Baudets en juin dernier à l’occasion de la release-party, confirme ce que nous savions déjà : Mehdi Zannad est l’un des plus fins et brillants mélodistes français en activité. Qu’elles soient chantées en anglais ou en français – le grandiose Fugue de 2011 composé sous le nom de Mehdi Zannad sur des paroles signées Serge Bozon, réinvente une certaine idée de la variété française des années 70 -, ses chansons s’apparentent toutes, sans exception, à des tubes gracieux, solaires, imparables et sans supercherie. Le geste zannadien est humble et simple, mais d’une intelligence remarquable. Jamais il n’en fait trop ou pas assez, tout est ciselé, précis et d’une grande délicatesse. Voilà pour une fois une sunshine pop qui ne fait pas étalage de ses références (Kinks, Zombies, Left Banke…) mais les intériorise et en renouvelle la candeur, la juvénilité, d’une façon tout à fait personnelle et moderne, à l’instar de ses amis anglo-saxons : Stereolab et the High Llamas.
D’une grande richesse, ces arrangements sont pourtant loin d’être ostentatoires mais s’écoulent au contraire avec délicatesse et fluidité, chaque élément tombant à la bonne place comme une veste bien coupée. Les chansons de Fugu#1 portent pour la plupart le nom d’un instrument de musique imaginaire (Pianolyre, Triple Bass, Clavipluck, Grand Celesta…), instruments que Mehdi Zannad s’imaginait sans doute pouvoir trouver dans le magasin de musique de Simon Dame dans Les Demoiselles De Rochefort. Ce qui pourrait passer pour un détail anodin se révèle en totale adéquation avec le souci de clarté propre à Zannad : cet alliage de pop lumineuse et de musique classique ne dépareillerait pas dans le classique de Jacques Demy, et on se figurerait aisément Zannad répétant The Best Of Us, Variations Fitzwilliam et autres splendeurs pop dans la boutique aux murs blancs, entouré des trombones, clavecins, violons, vents et instruments divers de Monsieur Dame.
Site de fugu : http://fugu1.fr/