Entendons-nous bien : Hayao Miyazaki est avant tout un cinéaste -et l’un des plus grands. Ses incursions dans l’univers des mangas, qu’il aurait plutôt tendance à gentiment mépriser, sont plus que rares, voire exceptionnelles. D’ailleurs ce Nausicaä, qui fut adapté par la suite en long métrage d’animation, est le premier véritable manga de Miyazaki. Et franchement, quelques maladresses de découpage mises à part, il faut vraiment le savoir pour le remarquer. Une telle maîtrise du noir et blanc, ce dessin souvent hâtivement brossé mais magnifique jusque dans ses hésitations, contribuent à donner chair à un univers en décomposition poussiéreuse…
Mais c’est surtout parce que Nausicaä est une réponse a posteriori aux ambivalences de Mononoke qu’il est aussi passionnant. Miyazaki, comme d’autres auteurs japonais -on pourrait citer Matsumoto (1), pacifiste fasciné par les armes et les véhicules de guerre- ne craint pas l’auto-contradiction. Ne serait-ce peut-être que par honnêteté intellectuelle. S’il est indéniablement un écologiste convaincu, sa passion pour la mécanique -particulièrement palpable à travers les hydravions de Porco Rosso– le mène souvent à une réflexion plus approfondie sur les rapports homme-nature. Dans Mononoke, les actes agressifs des Tataras-forgerons contre la nature pouvaient sembler sans conséquences, la forêt finissant par reprendre ses droits. Une indulgence surprenante, quasi cynique, mais qui trouve son prolongement dans Nausicaä.
Mille ans ont passé depuis que les hommes ont définitivement détruit la planète à force de guerres et d’hyper-industrialisation. Désormais, la population humaine est réduite à vivre à l’écart d’une forêt toxique rampante et grouillante d’insectes monstrueux, la Mer de décomposition. A première vue c’est un fléau indestructible. Seule Nausicaä, jeune princesse en phase avec la nature, ressent les vertus purificatrices de cette forêt. Une forêt vengeresse et salutaire mais qui ne tient plus compte de l’existence de l’homme pour accomplir son office de nettoyage.
On comprend donc que Miyazaki ne recherche finalement qu’une harmonie entre une espèce en constante évolution technologique et une nature qui se doit d’être préservée. Mononoke a souvent été présenté comme la suite officieuse de Nausicaä. En fait, ce serait plutôt le contraire. Les velléités expansionnistes des Tataras paraissent effectivement insignifiantes comparées aux actes destructeurs de ceux qui ont réduit la Terre à un amas de poussières. Il y a donc bien de terribles conséquences qui attendent ceux qui ne tiennent pas compte de l’équilibre fragile de l’écosystème. La clef de la philosophie de Mononoke se trouvait donc au sein de l’œuvre antérieure du grand Miyazaki. Une vision générale de son travail nous permet de mieux l’appréhender, de mieux le comprendre. Nausicaä, en dehors de ses nombreuses qualités, est une étape indispensable pour accomplir cette tâche.
(1) créateur d’Albator (Harlock en VO), Queen Esmeralda, Galaxy Express, et DNA Sights 999.