Albert à l’Ouest ne lèvera pas les nombreuses réserves inspirées par le passage au cinéma de Seth MacFarlane. Il confirmera même le soupçon nourri par sa carrière télévisuelle (Les Griffin, American Dad, The Cleveland Show) : celui d’avoir affaire à un tayloriste de l’humour, usant et abusant d’autoroutes défraichies sur lesquelles personnages et références filent en roue libre, sacrifiés à la frénésie mégalo du showrunner. Picorant à nouveau dans la pop-culture pour enrober une trame de parodie ectoplasmique, Albert à l’Ouest offre toutefois une consolation : s’il n’est ni plus fin, ni plus franchement punk que Ted, le film offre l’occasion à MacFarlane de s’engager physiquement à l’écran en tant qu’acteur burlesque. Un pari d’incarnation inédit chez lui, et qui force une certaine tendresse : il est aussi touchant que fascinant, par endroits, de voir ce gendre idéal à la bille de clown lisse et propret déployer tant d’efforts pour être edgy, désespérément soucieux de choquer le bourgeois à grands renforts de scatologie et de gesticulations vaguement keatonesques. Faute de réellement faire mouche, MacFarlane laisse entrevoir cette fois une vulnérabilité et un sens de l’auto-dérision qui faisaient défaut à ses vignettes télé. Une bonne raison de l’écouter défendre sa vision.
Pour la première fois, vous vous impliquez directement, physiquement, dans un personnage de film. C’est une manière de se mettre en danger ?
Seth MacFarlane : C’était un challenge excitant, mais j’ai d’abord eu peur de me casser les dents en passant du doublage au jeu physique. Et puis, je me suis aperçu qu’en réalité, l’exercice n’est pas si différent du doublage ou même de l’écriture. Dans tous les cas, vous construisez un personnage. Que vous utilisiez votre corps, votre voix ou votre cerveau, les règles sont les mêmes. J’ai compris, aussi, que tout dépend de votre partenaire : c’était formidable de jouer avec Charlize Theron, parce que sa propre gestuelle vous incite à moduler la vôtre d’une façon ou d’une autre.
Vous aviez des modèles, en matière d’énergie burlesque ?
Pas tellement, parce qu’en tant que réalisateur, je voulais tenter quelque chose de totalement neuf. Surtout dans le registre du western parodique. Le genre a souvent été détourné, pour le pire et pour le meilleur. En fait, surtout pour le pire à mon avis… Donc, mon ingrédient secret pour réussir, c’était de viser à peu près l’exploit de Mel Brooks sur Le Shérif est en prison : accommoder la tonalité et le portrait des personnages aux codes du contemporain. Dans le film, Gene Wilder et Cleavon Little jouent en gros des types ordinaires de 1974. Leurs tournures de phrases ne sont pas raccord avec l’univers du western, et c’est ça qui fait la toute la différence, à mon avis.
Mais ce jeu de paradoxes et d’anachronismes n’a pas grand-chose de neuf, si on sort du champ du western…
Disons que le défi à relever, c’était de faire en sorte que cette parodie reste un film. Trop souvent, ce genre d’humour vire au sketch. Ce n’est pas le cas d’Albert à l’Ouest, du moins je l’espère.
Que pensez-vous amener ici, pour éviter cet effet « sketch » ?
Eh bien, cette façon de connecter les gags et les rebondissements au présent. Dans les mauvaises parodies dont je vous parle, il n’y a aucune référence au monde moderne à laquelle se raccrocher.
Quelles mauvaises parodies ?
Vous êtes toujours vu comme un connard si vous crachez sur d’autres films, mais je pense aux Premiers colons, avec Chris Farley et Matthew Perry. Ce sont de très bons comiques, mais l’écriture loupe le coche avec l’époque : quand vous évoluez dans un monde étranger, il vous faut des repères pour compenser. Prenez Ghostbusters : le script veut nous faire avaler que des fantômes grotesques envahissent New-York. Mais ça marche, parce que les héros sont traités comme des losers new-yorkais, avec une langue et des profils de losers new-yorkais.
L’écriture serait donc le maître-mot, pour vous ?
Il vaut mieux parier sur le script, oui. Même si vous castez des gens très drôles, ils ne pourront rien faire si les situations ne fonctionnent pas. D’ailleurs, j’ai préféré faire appel à des acteurs non-comiques, comme Liam Neeson : je pense que si vos gags sont bien écrits, ils auront d’autant plus d’impact si un acteur comme lui les prend au sérieux, et les interprète avec sincérité. C’était pareil dans Ted avec Mark Wahlberg : il ne met aucune distance ironique, et c’est justement ce qui le rend super drôle.
Le générique d’ouverture annonce une parodie du western classique, style John Ford. Pourquoi celui-là en particulier ?
Ce que j’aime avec Ford, c’est que ses films ont un cachet « Hollywood » parfaitement décomplexé. Visuellement, c’est éclatant, triomphant, c’est donc propice à une parodie. Le style de Sergio Leone est plus sale, par exemple.
Amusant : après toutes vos séries, vous faites un western rigolard. Trey Parker et Matt Stone avaient commencé par là avec Cannibal ! The Musical. Depuis l’épisode de South Park où ils vous taclaient (Cartoon Wars), vous continuez de rivaliser, quelque part.
Oh, non, non, non. Honnêtement, je ne crois pas. Je n’ai pas vu Cannibal! The musical. C’est l’histoire de l’expédition Alfred Packer, avec les chercheurs d’or qui se bouffent entre eux, c’est ça ? Moui. Ces gars-là ne sont pas vraiment dans mes radars, vous savez. Donc il n’y a aucune compétition, je vous assure.
Mais, comme eux, vous tentez d’importer la subversion de vos cartoons à Hollywood. Alors que les showrunners de dessins animés pour adultes se tournent vers le cinéma, qui assure la relève à la télévision ?
Un type comme Matt Groening, qui est un ami, a fait quelques trucs pour le cinéma et continue de faire tourner ses séries avec brio. Il a une longévité prodigieuse. On a fait beaucoup de crossovers avec Matt, on s’est échangé des scénaristes. La relation est sympathiquement incestueuse, si vous voulez. Bon, j’admets qu’il n’y a rien eu de neuf depuis longtemps en matière de cartoons satiriques.
Quel est le secret de la longévité des Griffin, et de ces cartoons en général ?
J’ose espérer que la réponse est aussi simple que celle donnée par Jackie Gleason, à chaque fois qu’on l’interrogeait sur le succès des Honeymooners : « parce que c’est marrant ». Une autre raison, c’est que des séries comme les miennes ou Les Simpson sont à la fois borderline et proches du public. Matt et moi, on se tient tous les deux sur une frontière très mince entre l’edgy et le classique. On utilise de vrais orchestres pour la bande-son, et on n’oublie jamais le dénouement sentimental, cette avant-dernière minute presque mièvre avant que les sarcasmes reprennent le dessus, à la toute fin. C’est une façon traditionnelle de concevoir les récits, même si l’humour est rentre-dedans. En tant que showrunner, à la longue, vous définissez cet équilibre savant, et vous le transmettez à une équipe qui renouvelle sans arrêt l’imaginaire de la série. Puis, si les gens se marrent, ils reviennent. Tout simplement.
Mais plus vous êtes plébiscité, plus il est complexe de rester subversif. Dans Albert à l’Ouest, on a l’impression que vous vous débattez pour rester edgy, pour prouver qu’il y a encore un seuil à franchir après Ted…
C’est drôle que vous disiez ça, parce que je ne trouve le film bien moins limite que Ted. Finalement, c’est une simple histoire d’amour. D’ailleurs, je ne cherche jamais la provocation. Je cours simplement après ce qui me fait rire, et ce qui fait rire les autres. Et la surenchère ne m’intéresse pas : je m’ennuie très vite, donc j’ai besoin de passer à d’autres choses assez rapidement. C’est pour ça que j’ai régulièrement besoin de lancer une nouvelle série, de tourner des films. J’envisage d’écrire une série de science-fiction, un jour. Vous voyez, je ne suis pas obsédé par la provocation à tout prix. Cela dit, c’est vrai que je suis issu d’une famille au sens de l’humour tordu. Donc ça me vient sans doute de là. Quand on me reproche d’être trop edgy, je réponds : si je suis trop edgy, alors ma mère aussi !
On vous fait ce reproche, vraiment ?
On me dit parfois que je vais trop loin. Mais heureusement, personne ne peut aller contre le public. Si c’est drôle, c’est drôle. En projection-test, quand les gens se marrent du début à la fin, pourquoi se poser plus de questions ? Je ne dis pas que c’est toujours le cas : parfois, ils mettent du temps à réagir aux gags, et c’est très déprimant. Mais quand le public rit de bon coeur, ma position est celle-ci : « OK, vous trouvez ce gag trop lourd, mais mille personnes sont sorties hilares de la projection, alors pourquoi discuter ? »
Votre performance aux Oscars 2013 avait fâché un certain public, pour le coup. La chanson We Saw Your Boobs, surtout, n’avait pas fait rire les actrices invitées.
La grogne est venue de la presse américaine. À l’heure qu’il est, je rêve toujours d’inviter un de ces journalistes à s’expliquer. Les retours des vrais gens ont pourtant été très bons. Dans la salle, le public a été fantastique. Ayant fait du stand-up, je peux vous dire que de telles réactions font chaud au coeur. Mais pour une raison qui m’échappe, les journalistes voulaient voir la soirée capoter. Elle s’est bien déroulée, et ils ne l’ont pas supporté, donc ils ont écrit que c’était un fiasco. C’est irresponsable, parce que les faits indiquaient le contraire. Cette façon d’aller contre le public, c’est une forme de révisionnisme propre à la communauté très spécifique qu’est la presse.
Propos recueillis par Yal Sadat