De cabriole industrielle en chanson existentielle, Opéra Mort excelle dans la propagation d’ambiance brumeuse et anxiogène, où dansent dans l’ombre les chevilles ouvrières. Jo Tanz (Fusiller, Placenta Popeye) flanqué de Laurent Gérard (mieux connu sous son nom de scène Èlg) coordonnent leurs mandibules pour actionner potards, pédales d’effet, séquenceurs défaillants et touches de clavier, le tout relié en circuit fermé. Ces Dédales sans issue sont ceux de deux cerveaux directement reliés aux connectiques défaillantes de machines pluggées les unes aux autres dans un fourbi de câbles, de pédales d’effets et de claviers en bout de course. En conquistadors de la fréquence grésillante, Laurent Gérard et Jo Tanz déroulent à l’infini leurs borborygmes électroniques avec de plus en plus de précision et d’acuité, renonçant temporairement à la proto-techno sidérurgique à la Esplendor Geometrico et aux BPM low-fi saturés qui caractérisaient leurs premiers faits d’armes. Fourmillant de micro-détails, Opéra Mort alterne ici entre drone chirurgical et séance d’acupuncture à la perceuse électrique, avec une sensibilité francophone qui les éloignent de tout point de repère.
Ces Dédales font remonter à la surface des images ensevelies dans l’inconscient: un escalator qui mène à un sous-sol de RER façon Buffet Froid, le bruit de la banquise qui fond, la minuterie d’une bombe qui n’explose jamais, l’ADN entremêlé de robots consanguins, l’écho des vagues d’un océan asséché, un bidon métallique qui dévale un terril, une kermesse d’école dans une scierie tous métaux, le bruit d’une hélice qui racle des fonds sous-marins, un trekking dans les ruines du futur, un bonbon fourré à l’azote liquide, une moissonneuse-batteuse slalomant entre deux anfractuosités rocheuses, un pain de glace troué au vilebrequin, une enfilade de corridors sans fin, une rave party dans le moulin des supplices, le bruit des bactéries en mouvement dans l’intestin grêle, la collision des atomes dans le manège enchanté du CERN, une ligne à haute tension qui s’écrase dans un champ de blé, le reflet d’une cicatrice dans un miroir sans tain, un entrelacs d’ondes qui s’éparpillent dans la nuit, une clarté obscure tombée des étoiles, un bal masqué qui vire à la foire d’empoigne, un no man’s land au sommet d’un pic montagneux… Autant de visions générées mentalement par le magnétisme animal de ce grouillement sonore, où l’on surfe sur des cristaux liquides broyés et où l’on dodeline de la tête sur des boucles lancinantes.
S’ils se montrent toujours aussi âpres et abstraits dans leurs textures, les deux larrons ont ici troqué le marteau et la cravache des jours de pénitence contre un blouson clouté à la doublure en cachemire. Les rythmiques se font sournoises et répétitives, les voix trafiquées entre Suicide et Throbbing Gristle s’invitent à la fête (Les Spirales Messmer), les ambiances se font de plus en plus spartiates et introspectives, reniflant parfois du côté de Wolf Eyes (Mineral) ou d’une minimal wave qui aurait lâché les basques de la fashionista (Cérémonie Blanche). Mais de leurs petits coeurs blessés jaillit aussi parfois des mélodies venues d’ailleurs (Bâillon Rose, La Brêche) qui disséquent au radar des paysages psychédéliques aussi splendides que dévastés, où des loups criant famine arpentent un dancefloor déserté.
Il règne ces temps-ci en France un climat propice à l’emballement pour toutes ces têtes chercheuses longtemps confinées aux niches underground. Avec la lassitude devant des avatars technoïdes trop standardisés, trop prévisibles, ou figés dans un formol pop insipide, de tels putsch sonores font l’effet de véritables bombes à retardement, révélant l’envers d’un monde hyperconnecté qui se fait sournoisement de plus en plus normatif. Foncez donc les voir ce soir en concert.
Stream intégral de l’album ici :
http://www.self-titledmag.com/2014/04/15/stream-opra-morts-ddales-album/
OPERA MORT (+ KAUMWALD + PIZZA NOISE MAFIA + PLEIN SOLEIL)
@Le Chinois de Montreuil
6, place du marché
m° croix de chavaux (9)
ce soir 20h , 6 euros