Mark Nelson, Carter Brown et Robert Donne de Labradford auront quand même laissé en 1995 un album indispensable et au titre éloquent : A stable reference. Il se pourrait bien qu’E luxo so, ce cinquième album des virginiens, rejoigne cet aîné et apporte sa contribution à l’édifice de la nouvelle musique de chambre du rock.
E luxo so commence avec le bruissement d’une section de cordes léthargiques qui semblent sortir d’un long sommeil et font des étirements répétitifs pendant trois minutes. Pas de percussions, pas de voix, pas d’envie de taper du pied. Labradford nous souhaite la bienvenue avec grâce. C’est de la musique exigeante mais pas prétentieuse. C’est aussi magnifique qu’El diablo en el ojo des Tindersticks. D’ailleurs, le nom du cinquième album de Labradford a une consonance sud-méditerranéenne, portugaise. Et musicalement, il semble également être le développement en six titres du chef-d’œuvre de Tortoise (The equator) sur TNT. E luxo so diffuse en effet cette tristesse et cette même ambiance. L’impression d’être perdu dans ville mexicaine déserte d’un western, écrasé de chaleur, balayé par un vent chaud et abritant une faune microscopique dont on ne peut écouter la symphonie qu’avec du silence pour en saisir toutes les nuances.
El luxo so évoque aussi un petit reptile à peine vertébré des régions arides, par son rythme très coulant et fluide. On ne risque pas le crash : le paysage n’est pas accidenté, il n’y a pas de pics dans E luxo so, mais plutôt la juxtaposition subtile d’une multitude de strates dans un liquide amniotique. Musique introspective, E luxo so s’impose comme une bande son parfaite de notre inconscient. Il faut s’y immerger et se laisser balader dans les recoins de sa mémoire, réveillant des sensations relaxantes et ravivant des correspondances mélancoliques. Souvent on y côtoie Tarnation, Morricone et Satie (pour ces déchirantes nappes de violons suspendus), Tortoise, les bidouilleurs du krautrock, la splendeur béate des morceaux de Mark Hollis et les instruments malades du bric-à-brac magique de Comelade.
Insolemment gorgé de soleil, vénéneux, et statique : E luxo so est un cagnard salvateur, une véritable invitation à la paresse, à la contemplation et à ne rien foutre d’autre que partager en connaisseur ces 40 minutes de son intimité, avec l’envie tenace d’y revenir. Rien que ça.